lundi 31 décembre 2018

L'heure des bilans - Retour sur 2018

Une nouvelle année s’achève dans La Rue des Soldats. Dans le prolongement des bilans 2016 et 2017, je garderai de ce millésime 2018 somme toute apaisé 10 événements, présentés ci-après, non par ordre chronologique, mais en fonction de leur impact en faveur de l’image de l’armée dans la vie du pays. Ce choix - parmi plus de 120 événements relatés cette année - est bien sûr forcément subjectif. Pour autant, il place l’accent sur des faits importants, qui continueront de façonner l’actualité de défense du pays, y compris en 2019.

La Rue des Soldats, fidèle à son engagement de s’appuyer sur l'étude des sources en vietnamien, poursuivra ses efforts pour percer le brouillard de l'actualité de défense vietnamienne. Puisse cette démarche continuer de plaire aux lecteurs qui poussent la porte de cette ruelle, et encore plus à ceux qui s’y arrêtent plus longuement !

Chúc mừng năm mới 2019 !
1 - Décès du président Trần Đại Quang, et cumul du mandat de président de la république et de secrétaire général du Parti communiste vietnamien (PCVN) par Nguyễn Phú Trọng. Le 21 septembre, le général d’armée Trần Đại Quang, ex-ministre de la sécurité intérieure (2011-2016) et président en exercice de la république socialiste du Viêt Nam - depuis le 02 avril 2016 -, est décédé à 62 ans. Le 23 octobre, l’assemblée nationale a élu Nguyễn Phú Trọng pour assumer les fonctions de chef de l’Etat. Pour la première fois depuis Hồ Chí Minh, un secrétaire général du PCVN cumule donc sa fonction de numéro 1 du pays avec celle de président de la république. Clin d’œil de l’histoire, l’on n’oubliera pas que Nguyễn Phú Trọng, lors de sa réélection à la tête du Parti, en janvier 2016, avait fait état de son intention de ne conserver ses fonctions que durant un demi mandat. Cette échéance étant désormais atteinte, le voici désormais solidement installé à la tête du pays, à 74 ans.
Au tableau des disparitions de figures historiques, n’oublions pas les décès de :
- Đỗ Mười - de son vrai nom Nguyễn Duy Cống -, le 1er octobre à 101 ans. Secrétaire général du PCVN de juin 1991 à décembre 1997, il restera dans l’Histoire du pays comme étant l’homme qui a confirmé l’ancrage du Viêt Nam dans l’ère du Đổi mới (initié en 1986 par son prédécesseur, Nguyễn Văn Linh) ; 
- et du sénateur John Mac Cain, le 26 août. Vétéran de la guerre du Viêt Nam, cet emblématique président de la commission de la défense du sénat a été l’artisan du rapprochement entre ennemis d’hier, comme en témoigne ses nombreux déplacements à Hanoi. Sa disparition, saluée de manière appuyée par les autorités et médias vietnamiens, laisse un vide dans les relations entre Washington et Hanoi - qui ne semble pas avoir encore été comblé.

2 - Création d’un commandement cyber. Le 08 janvier, le premier ministre Nguyễn Xuân Phúc et le ministre de la défense, le général d’armée Ngô Xuân Lịch, ont coprésidé la cérémonie de création d’un commandement cyber. Cet organisme, placé sous le commandement du général de brigade Đinh Thế Cường, consolide la structure d’un ministère de la défense déjà engagé depuis plusieurs années dans la montée en puissance d’une capacité de lutte cyber.

3 - Le PDG de Viettel nommé ministre de l’information et des télécommunications. Alors que le secrétaire général du PCVN fait de la lutte contre la corruption une de ses toutes premières priorités, M. Trương Minh Tuấn, ministre de l’information et des télécommunications, a été démis de ses fonctions le 23 juillet pour sa responsabilité (indirecte) dans lamauvaise gestion de MobiFone, l’un des trois grands opérateurs de téléphonie mobile du Viêt Nam. Pour le remplacer, le président Trần Đại Quang a choisi l’une des étoiles montantes de la sphère affairiste de l’armée populaire vietnamienne : le général de brigade Nguyễn Mạnh Hùng, PDG de Viettel, puissant consortium spécialisé dans les télécommunications, entreprise phare du Département général des industries de défense. Agé de 56 ans, cet officier formé en ex-Union soviétique mais aussi en Australie a intégré Viettel dès la création de l’entreprise, en 1989, et ne l’a jamais quittée. En 2014, il avait été nommé à la tête de l’entreprise, à une période où celle-ci partait à la conquête de marchés en Afrique après s’être développé en Asie du sud-est. Sa réussite dans le développement de Viettel, qui espère dépasser le milliard de clients en 2020, lui a logiquement valu d’entrer au sein du Comité central du PCVN en janvier 2016. Son successeur à la tête de l’entreprise est le général de brigade Lê Dang Dung, qui était le numéro 2 du groupe depuis 16 ans. 

4 - Premier déploiement d’une unité vietnamienne en opération de maintien de la paix (OMP) onusienne. Le 26 octobre, 63 militaires du service de santé des armées - dont 10 femmes - ont pris la responsabilité de l’hôpital militaire de campagne (Rôle 2) de la Mission des Nations unies au Soudan du sud (MINUSS) déployé à Bentiu, dans le nord du Soudan du sud, concrétisant un parcours de plus de deux années de préparation. Le 13 décembre, un second contingent de médecins, infirmiers et personnel administratif, a officiellement entamé sa préparation opérationnelle pour rejoindre Bentiu dans un an, où il sera à nouveau relevé en 2020. Un beau parcours opéré sous la houlette du colonel supérieur Hoàng Kim Phụng, emblématique directeur du Centre de formation aux OMP du ministère de la défense - qui a acquis ses lettres de noblesse le 5 janvier en se voyant élevé au rang de Département des OMP du ministère -, et dont les résultats dans cette véritable « aventure OMP » dans laquelle est engagée l’armée populaire vietnamienne devraient enfin lui valoir une promotion méritée au grade de général.

5 - Admission au service actif des frégates Trần Hưng Đạo et Quang TrungLe 06 février, la brigade 162, unité phare de la marine vietnamienne en raison de la présence dans son ordre de bataille des frégates lance-missiles Gepard 3.9 construites dans les chantiers navals russes, a officiellement accueilli à Cam Ranh ses deux derniers éléments, les frégates 015 Trần Hưng Đạo et 016 Quang Trung. Du 15 septembre au 30 octobre, le Trần Hưng Đạo a effectué son premier déploiement opérationnel (de plus de 12000 km), le premier d’un bâtiment de la marine populaire jusqu’en mer du Japon, avec des étapes à Yokosuka et Sakai (Japon) et à Jeju (Corée du sud), avant de participer à un exercice conjoint Chine-ASEAN au large de Zhanjiang (province de Guandong). Cette campagne confirme les ambitions de l’état-major de la marine de conférer à cette composante en pleine modernisation un statut de marine hauturière. Une dynamique qui justifie pleinement la promotion du contre-amiral Phạm Hoài Nam, son commandant en chef, au grade supérieur (16 juin).

6 - Première escale d’un porte-avions américain au Viêt Nam depuis la guerre entre les deux pays. Du 05 au 09 mars, le porte-avions de la classe Nimitz USS Carl Vinson (CVN-70), et son groupe d’escorte, ont fait escale à Tiên Sa, le port militaire de Đà Nẵng. Cet événement n’a pas donné lieu à une surmédiatisation susceptible d’irriter Pékin : escale qualifiée de « routine », pas de déplacement de hautes autorités du ministère vietnamien de la défense, activités des marins placées sous le signe de l’empathie pour les populations défavorisées, etc.. Il n’en demeure pas moins que le commandant de la 7Flotte a mentionné que le fait qu’une nouvelle étape dans cette normalisation pourrait être l’escale d’un sous-marin américain dans un port vietnamien. 

7 - Première escale d’un sous-marin japonais au Viêt Nam. Du 17 au 21 septembre, le sous-marin d’attaque SS-596 Kuroshioa effectué une très discrète escale à Cam Ranh, confirmant le resserrement des relations de défense entre Hanoi et Tokyo mais aussi l’ambition et la capacité du Japon à contribuer à sa mesure à l’affirmation de la liberté de circulation dans ces eaux contestées et objet de l’affirmation de la (toute) puissance chinoise. 

8 - Crash d’un avion de chasse. Le 26 juillet, un Su-22UM3 appartenant au Régiment 921, implanté sur l’aéroport de Nội Bài (Hà Nội), s’est écrasé lors d’une mission d’entraînement dans une zone montagneuse de la province du Nghệ An. Comme souvent dans ce type de d’accident (le seul de l’année), une unité a perdu deux de ses hommes les expérimentés. 

9 - Première escale d’avions de combat français à Hanoi depuis la fin du conflit indochinois. Avec en toile de fond le quarante-cinquième anniversaire du rétablissement des relations diplomatiques entre Paris et Hanoi, trois Rafale, un Airbus A-400-M et un Airbus A-310, opérant dans le cadre de la mission Projection d’un dispositif aérien d’Envergure en Asie du Sud-Est (Pégase), ont fait briller du 26 au 29 août les couleurs françaises sur l’aéroport de Hanoi Nội Bài. A défaut d’avoir attiré les hautes autorités militaires vietnamiennes (y compris le commandant en chef de l’armée de l’air et de la défense antiaérienne…), l’évolution des appareils dans le ciel hanoien a été particulièrement relayée dans les médias locaux - et a donné lieu à un record de fréquentation dans La Rue des Soldats.
De manière plus large, la relation franco-vietnamienne a été marquée par plusieurs visites très symboliques, à défaut d’avancées majeures sur le plan du partenariat de défense : visites à Paris de Nguyễn Phú Trọng (25 au 27 mars), et du général d’armée Ngô Xuân Lịch (16 au 20 septembre), tandis que le premier ministre Edouard Philippe a fait une étape à Hanoi (02 au 04 novembre) lors d’un voyage qui le menait à Nouméa.

10 - « Ils sont rares, les hommes politiques [français]qui sont venus à Điện Biên Phủ ».  Illustrant ces propos du colonel Jacques Allaire, vétéran de la célèbre bataille, le premier ministre Edouard Philippe s’est rendu le 03 novembre à Điện Biên Phủ. Premier haut responsable français en exercice à se rendre dans la cuvette depuis le président François Mitterrand en 1993, il s’est incliné devant la stèle érigée en mémoire des combattants français, puis a effectué la même démarche mémorielle au cimetière militaire vietnamien – cette fois en présence des autorités locales. Alors que la France accueille depuis plus de dix ans des jeunes Vietnamiens à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr (dont l’actuel numéro 2 de la mission de défense vietnamienne à Paris est le meilleur exemple) et que quelques Saint-Cyriens peuvent effectuer leur semestre international au Viêt Nam, le poids de l’Histoire - mais aussi l’éloignement géographique, et des priorités françaises bien éloignées de cette région géographique - reste très fort, savamment nourri par un système scolaire vietnamien qui fait la part belle au nationalisme et au rôle de l’armée dans la défense de la patrie.

Quelques tendances.
Sur le plan des équipements : marine et police maritime continuent d’avoir le vent en poupe. L’armée de terre, quant à elle, attend toujours ses T-90, dont quelques exemplaires ont été aperçus dans les usines russes. Le 31 décembre, une information relative au débarquement dans un port vietnamien (Tiên Sa ? Hải Phòng ?) des premiers T-90 a mis en éveil les spécialistes: la publication d’une photo de char débarquant d’un navire de fort tonnage, associée à la diffusion d’une photo d’un porte-char militaire en déplacement (destination bien sûr non diffusée) pourrait suggérer que la livraison de ces chars lourds (dont 64 ont été commandés) a débuté, conformément aux annonces faites à la fin 2017. Gageons que si la nouvelle est exacte, ces engins seront rapidement aperçus en train d'être acheminés jusqu'à leur(s) régiment(s)!
Sur le plan des promotions : pas d’ascension surprise, mais une consolidation des postes terminaux. Je reste persuadé que, sur le plan du mérite, le chef du Département des opérations de maintien de la paix est parfaitement éligible pour sa première étoile.
Sur l’échiquier des relations internationales de défense : un apaisement prolongé avec Pékin, motivé par la nécessaire harmonie qui doit présider aux relations entre partis communistes ; une baisse d’enthousiasme entre Hanoi et Washington, avec des rencontres qui laissent un goût de « service minimum ». Pour autant, Hanoi sait que les Etats-Unis sont les seuls réellement capables - y compris sur le plan de la volonté - de faire face à l’activisme chinois en mer de Chine méridionale ; enfin, une remarquable confiance entre Hanoi et Canberra, comme le montre l’appui qu’a apporté l’Australie dans la projection du détachement du service de santé vers le Soudan du sud. 



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