En ce début d’été, synonyme de durcissement progressif des conditions climatiques, notamment dans le Nord et le Centre (apparition des premières dépressions tropicales, souvent porteuses de catastrophes naturelles), le panorama de l’actualité vietnamienne a été riche en interactions diplomatico-militaires de haut niveau, à défaut d’évolutions structurelles dans l’armée populaire vietnamienne (APVN).
Pour autant, le mois de juin a été secoué par un coup de tonnerre sur le plan sécuritaire, interne et donc plaçant au premier plan les forces de la Công an, tout puissant ministère Sécurité publique dont la mission suprême est, tout comme celle du pilier militaire du pays, de garantir la sécurité du régime communiste. La stratégie de communication du régime a été, une fois n’est pas coutume, ébranlée mi-juin par un événement lié à ce que les autorités communistes appellent communément les « forces subversives intérieures ». Loin d’une cyberattaque, c’est bien à une attaque par petits commandos que deux comités populaires de villages province de Đắk Lắk (hauts plateaux du Centre) ont été victimes le 11 juin à Ea Tiêu et Ea Ktur (district de Cư Kuin). Armés d’armes légères et de charges explosives, les assaillants ont pris d’assaut ces sièges locaux du Parti communiste, abattu deux autorités politiques locales et quatre membres de la Công an et blessé plusieurs autres policiers. Puis ils ont fait sauter les emprises attaquées, avant de s’exfiltrer. Passé l’effet de surprise, une opération de traque des agresseurs et de tous leurs soutiens a été rapidement lancée par la Công an. La chape de plomb opérationnelle n’a été brisée que le 14 juin, par le général de division Tô Ân Xô, porte-parole du ministère, qui annonçait la restauration de l’ordre mais aussi la poursuite des recherches de tous les sympathisants de ces agresseurs. Au 20 juin, plus de 80 individus avaient été arrêtés, souvent suite à des délations. Les autorités policières ont annoncé avoir saisi de l’armement, mais aussi une dizaine de drapeaux du Front unifié des races opprimées (FULRO), mouvement plus que cinquantenaire dont les dernières racines dans les hauts-plateaux du Centre n’ont jamais été définitivement éradiquées par le régime communiste.
Plus que l’effet aiguillon de soutiens extérieurs, que les autorités du pays citent régulièrement pour identifier des coupables étrangers mais infiltrant la société multiethnique vietnamienne, l'on verra dans ces actes – très rares, surtout dans une telle forme d’attaque coordonnées – l’expression non d’une volonté (et encore moins de capacités) de saper le régime de Hà Nội, mais d’une haine contre des forces de sécurité aux ordres de potentats locaux et adeptes d’un zèle excessif, mettant en œuvre des directives de dirigeants hanoïens d’ethnie kinh qui n’ont que faire des coutumes, cultures et langues des 53 autres ethnies du pays, qu’elles tentent de placer en coupe réglée au nom de l’unité de la nation. Pression démographique, appétits économiques, impératif de contrôler les régions frontalières, et contrôle étroit des populations, sont des arguments difficiles à masquer derrière des discours et slogans de solidarité. Et des attitudes souvent prévaricatrices et d’un autoritarisme brutal peuvent déclencher des actions de représailles locales dont les auteurs, rapidement isolés jusque dans leurs familles, finissent par être interpellés voire éliminés. En tout état de cause, force et louanges reviennent toujours aux forces de sécurité, bénéficiant de la puissance de médias d’Etat aux ordres. Ainsi, tout comme c’est le cas lorsqu’un militaire décède en service, les quatre policiers tués le 11 juin ont été très rapidement promus à titre posthume au grade supérieur, tandis que les hommes ayant été engagés dans les opérations de restauration de l’ordre ont été mis largement à l’honneur devant les médias. Puis la chape de silence médiatique est retombée sur les questions de fond qui ont conduit à cette éruption de violence, mais qui vont continuer de faire l’objet de débat entre autorités locales et centrales, surtout quand l’on sait que le cycle de préparation du prochaine congrès national du Parti communiste vietnamien va débuter par les débats au niveau local.
* *
Revenant sur la scène militaire, parmi les événements qui auront jalonné ces six dernières semaines, l’on retiendra :
- sur mer, deux escales de groupes navals de tout premier plan dans les ports vietnamiens : tout d’abord à Cam Ranh du 20 au 23 juin, avec les destroyers japonais JS Izumo (près de 300 mètres de long) et JS Samidare ; puis américaine à Đà Nẵng du 25 au 30 juin avec le porte-avions USS Ronald Reagan et les croiseurs USS Antietam et USS Robert Smalls.
Derrière une communication mettant en valeur des escales « de routine » et des commémorations de dates importantes des calendriers respectifs des relations diplomatiques (50e anniversaire des relations diplomatiques entre Tokyo et Hà Nội, 10e anniversaire de la signature du partenariat stratégique global entre Washington et Hà Nội), la simple présence de ces bâtiments aux gabarits exceptionnels, représentant des partenaires majeurs pour le Viêt Nam en termes de contrepoids à l’intense activité militaire chinoise en mer « de l’Est », a suffi à attirer l’attention des médias régionaux et internationaux (pour la troisième escale d’un porte-avions américain depuis la fin de la guerre du Viêt Nam, dans un contexte de bras de fer sino-américain sur dans le Pacifique occidental). Nul besoin de déplacements de hautes autorités militaires et encore moins civiles dans ces ports, car cela aurait suffi pour créer des vagues diplomatico-militaires jusqu’à Pékin, effet d’autant moins recherché par Hà Nội que l’escale du Ronald Reagan était concomitante avec le premier déplacement à Pékin du premier ministre Phạm Minh Chính (avec dans sa délégation le général d’armée Phan Văn Giang, qui a rencontré pour la première fois son nouvel homologue chinois, le général Li Shangfu).
- sur les théâtres d’opérations de maintien de la paix onusiens :
- la relève du quatrième détachement du service de santé des armées qui gère l’hôpital de campagne (Rôle 2) de la Mission des Nations unies au Soudan du sud (MINUSS) à Bentiu.
Au terme d’un mandat de plus de 13 mois, ce détachement est relevé par une unité constituée sur une ossature de cadres fournie par l’Hôpital militaire 175 (Hồ Chí Minh-Ville), qui a été officiellement et médiatiquement mise à disposition du Département vietnamien des OMP le 27 juin lors d’une cérémonie sur l’aéroport d’Hồ Chí Minh-Ville, rehaussée par la présence du président Võ Văn Thưởng (accompagné des GCA Nguyễn Tân Cương, chef de l’état-major général des armées, Hoàng Xuân Chiến, vice-ministre de la défense, chargé des relations internationales, et Phùng Sĩ Tấn, adjoint au CEMG). Comme c’est le cas depuis le début de l’engagement de l’armée populaire vietnamienne sur ce théâtre d’opérations, la projection du cinquième contingent et le rapatriement du contingent relevé ont été pris en charge par l’armée australienne, partenaire particulièrement fiable de Hà Nội.
Le 07 juillet, le C-17 transportant les 63 militaires commandés par le lieutenant-colonel Nguyễn Hà Ngọc s’est posé à Juba. Deux jours plus tard, il se posait à Hà Nội avec à son bord 51 militaires désengagés. Douze autres membres de ce contingent seront rapatriés un peu plus tard, après avoir facilité la prise en compte de leur mission au contingent montant.
- les derniers préparatifs de la première relève du détachement du génie déployé au sein de la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abiyé (FISNUA). 184 militaires dont 22 femmes devraient succéder à l’été à l’unité pionnière déployée en mai-juin 2022.
- sur le plan diplomatique, ce début d’été a débuté sur des bases intenses, avec des rendez-vous de très haut niveau, dans lesquels les hauts dirigeants militaires ont été très sollicités. Ces événements ont concerné les partenaires les plus solides du Viêt Nam :
1 – les « frères d’armes historiques » :
- Inde - du 17 au 20 juin, déplacement du général d’armée Phan Văn Giang en Inde, marqué par l’officialisation du don à la marine vietnamienne d’une corvette lance-missiles indienne, l’INS Kirpan ;
- Cuba - le 22 juin, à peine rentré de New Delhi, le GAR Phan Văn Giang a accueilli un autre partenaire historique de l’Armée populaire vietnamienne, en la personne du général de corps d’armée Álvaro López Miera, ministre cubain de la défense, avec qui il a signé un plan de coopération pour la période 2023-2025.
Après avoir visité un Très Grand d’Asie, avec lequel la relation quoique historique place les Vietnamiens en position de débiteurs, la réception de ce camarade de lutte idéologique – dont le site Internet de l’ambassade à Hà Nội rappelle l’engagement personnel de Fidel Castro aux côtés des Vietnamiens luttant contre les « impérialistes américains », a offert au haut état-major une opportunité de s’afficher en position au moins d’égalité (idéologique) sinon de force au regard du fossé qui sépare les armées cubaines et vietnamiennes.
(*) Nulle surprise donc à ce que les postures des commandeurs vietnamiens mises en valeur par la presse locale aient toutes été à leur avantage : effusions, chaleur des regards, un renversement de posture dans lequel les Vietnamiens excellent et qui leur permet de laisser parler la voix du cœur plus que celle de la raison ou du besoin, qu’ils doivent adopter dans quasi toutes leurs interactions avec leurs autres partenaires (Cambodge et Laos exclus bien sûr) ;
|
APVN et armée cubaine main dans la main (GCA Nguyễn Tân Cương, CEMG) |
- le « grand frère » russe : n’en déplaise aux partenaires occidentaux de Hà Nội, le lien avec Moscou ne se fane pas, y compris sur le plan de la relation entre militaires. Malgré la poursuite de la guerre menée par l’armée russe contre l’Ukraine, Moscou continue de dorer son blason de la relation avec ses partenaires historiques, dont le Viêt Nam. Il est vrai que Hà Nội ne peut se soustraire à ce lien tant l’ancrage russe de son armée est fort (dépendance de toutes les composantes vis-à-vis de la technologie russe, formation de générations de cadres en Russie). Les annonces du ministère de la défense sur sa volonté de diversifier ses partenariats ne concernent que des niches (drones par exemple), qui ne menacent nullement cordon ombilical qui lie l’APVN à sa « grande sœur ».
Le déplacement du général Hoàng Xuân Chiến à Moscou (05 au 07 juillet) n’en demeure pas moins un acte fort, qui n’a pas dû passer inaperçu de ses autres interlocuteurs, occidentaux : sa réception par le général Shoïgu, ministre de la défense d’un pays en guerre contre un autre partenaire historique du Viêt Nam, la co-présidence du dialogue stratégique bilatéral de défense (le sixième du genre), et l’entretien avec le vice-premier ministre Dmitry Chernyshenko – qu’il avait lui-même reçu le 07 avril à Hà Nội à l’occasion du trente-cinquième anniversaire de la création du Centre tropical Viêt Nam – Russie, sont autant d’actes forts qui témoignent d’autant plus du soutien vietnamien à la Russie que les dirigeants du régime de Hà Nội ne conduisent aucune action similaire avec leurs homologues ukrainiens.
Realpolitik, autisme ou recherches de marchés obligent, les partenaires occidentaux de Hà Nội, qui sont pourtant en position de force tant le Viêt Nam est demandeur d’expertise, de soutien et de dons, ne semblent même pas marquer le coup…
2 – l’incontournable voisin chinois. Du 26 au 28 juin, le premier ministre Phạm Minh Chính a effectué son premier voyage es qualite à Pékin. Un événement qui s’inscrit dans la volonté des autorités vietnamiennes de nourrir une relation aussi apaisée que possible avec le président chinois et numéro un du Parti communiste chinois Xi Jinping, malgré les violations récurrentes des eaux territoriales vietnamiennes en mer « de l’Est ». Huit mois après le déplacement à Pékin du secrétaire général du PCVN Nguyễn Phú Trọng (**), cette visite du chef du gouvernement est logique et s’est essentiellement axée sur les questions économiques, avec un appel lancé aux entreprises chinoises pour investir au Viêt Nam. Propos réciproquement chaleureux, pas de mention ostensible aux sujets qui fâchent, la visite peut être qualifiée de succès, au moins pour le régime de Hà Nội aux yeux de son opinion publique.
Parmi l’importante délégation qui accompagnait M. Chính l’on aura noté le général d’armée Phan Văn Giang, ministre de la défense. Après avoir éludé le Shangri-La Dialogue début juin à Singapour (il s’y était fait représenter par le général Hoàng Xuân Chiến), ce déplacement a donc offert l’opportunité d’une première rencontre avec son nouvel homologue, le général Li Shangfu. Photo sobre, sans chaleur particulière (peut-être en raison de l’accueil au même moment d’un groupe aéronaval américain à Đà Nẵng ?), à l’image de propos convenus : remerciements du général Giang pour l’assistance apportée par l’armée populaire de libération aux unités vietnamiennes lors des conflits contre les Français puis les Américains, attachement des deux ministres à l’entretien de relations de bon voisinage, invitation du général Li Shangfu à se rendre au Viêt Nam, et réciproquement.
Là aussi, pas un mot (dans la presse) sur les différends historiques (mer « de l’Est ») afin de ne pas plomber dès le premier contact une relation dans laquelle le général Li Shangfu a l’avantage sur son homologue vietnamien : le général Giang sait que son parcours s’achèvera dans deux ans et demie, et peut pressentir que, comme cela fut le cas lors des préparatifs des deux précédents congrès nationaux du PCVN, la Chine n’hésitera pas à appuyer là où cela fait mal, y compris en accroissant ses activités intrusives dans les eaux revendiquées par le Viêt Nam, pour arriver aux fins de Pékin : avoir un nouveau comité central du PCVN présentant des affinités avec son homologue chinois et non inscrit dans une logique d’opposition.
Mais le contact est pris, reste à le confirmer par une rencontre au format plus officiel, entre délégations comprenant les plus hauts dirigeants des ministères de la défense respectifs.
* * *
La photo du mois. Enfin, je conclurai ce bilan par une photo d’un homme qui a marqué de son empreinte le renseignement et les relations internationales de l’APVN durant vingt ans : le général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, admis à la retraite fin 2021, était resté dans la lumière pendant un an malgré la prise de fonctions du Hoàng Xuân Chiến, peu préparé à succéder à un tel chef – de surcroit fils d’un compagnon de lutte d’Hồ Chí Minh.
Sa disparition soudaine des médias, en 2022, et quelques traits de fatigue dans ses dernières interviews et apparitions, suggéraient une maladie qui pouvait rappeler la brutale disparition du général d’armée Phùng Quang Thanh, en septembre 2021 suite à un cancer.
Le 15 juin, sur fond de mise en valeur de la (réelle) aventure qu’a constitué le début de l’engagement de l’APVN en OMP onusiennes, et qu’il avait conduite, le général Vịnh a été mis en valeur aux côtés du général Hoàng Kim Phụng, ex-directeur du Département OMP de l’APVN. Les lecteurs ont redécouvert un homme quasi chauve, marqué physiquement par les signes révélateurs d’une chimiothérapie. Agé de 66 ans, le général Vịnh, qui était entré en service à la fin de la guerre contre les Américains, mène indéniablement son combat le plus solitaire, contre un ennemi qui ne connaît pas de temps de paix…
* * *
(*) « Vì Việt Nam, Cuba sẵn sàng hiến dâng cả máu của mình! » - « Pour le Viêt Nam, Cuba est prêt à donner son sang ! » - phrase prononcée par Fidel Castro le 02 janvier 1966 à La Havane dans un discours saluant la solidarité entre peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.
(**) 30 octobre – 1er novembre 2022. M. Trọng a été le premier dirigeant étranger reçu par Xi Jinping après sa reconduction à la tête du PCC (23 octobre 2022).