samedi 4 mars 2023

Février 2023, un millésime riche en actualité militaire!

L’année du Chat d’Eau (năm Quý Mão) s’était ouverte sur un séisme politique (la démission (17 janvier) du président Nguyễn Xuân Phúc, victime collatérale d’une purge ministérielle sur fond de campagne anti-corruption menée depuis dix ans par le secrétaire général du Parti communiste vietnamien [PCVN] Nguyễn Phú Trọng) puis par le décès d’un pilote de chasse lors d’un vol d’entraînement (31 janvier). 

Ces coups durs dans différents registres ont placé les autorités vietnamiennes dans la nécessité de redorer rapidement une confiance, à défaut de prestige, au moins vers leur auditorat national mais aussi vers leurs partenaires internationaux. Février leur a offert une tonalité positive, portée notamment par une réaction exceptionnelle à un autre séisme, bien réel celui-ci et exceptionnel par son éloignement à plusieurs milliers de kilomètres à l’ouest du sol vietnamien et par son ampleur humaine. 

Je retiendrai donc de ce mois traditionnellement de reprise des activités militaires, après le Tết, les événements suivants :

- une grande première dans l’Histoire de l’armée populaire vietnamienne (APVN) : la projection d’un détachement dans une opération internationale d’assistance humanitaire en Turquie (12 au 24 février) suite au séisme qui, le 06 février, a frappé la région de Gaziantep (et le nord de la Syrie).  Voir à ce sujet mon post précédent.

- une petite vague d’escales (trois) dans trois ports vietnamiens : britannique à Hồ Chí Minh-Ville (07 au 11), singapourienne à Cam Ranh (13 au 16) et japonaise (garde-côtes) à Đà Nẵng (13 au 18, quelques jours avant la réception à Hà Nội du commandant en chef adjoint des garde-côtes japonais). Aucune ne s’est traduite par un exercice à la mer significatif, même si le bâtiment singapourien a eu le privilège d’interagir à son départ avec une frégate de premier rang (012-Lý Thải Tổ) ; 

- la projection d’un second officier de la police maritime en opération de maintien de la paix onusienne dans cette terre disputée d’Abiyé, entre Soudan et Soudan du sud. Le capitaine supérieur Trần Nam Phương, plus rompu aux questions internationales que son camarade déployé début février sur le même théâtre d’opérations, devra lui aussi relever le double défi de ne pas voir s’ouvrir à lui durant un an d’horizon maritime et de tenir des fonctions d’officier logisticien au sein de l’état-major de la FISNUA ;

 Le général de brigade Vũ Trung Kiên, adjoint au commandant en chef de la police maritime,
remettant son mandat au missionnaire (20/02/2023)

- enfin, ce mois de février aura été marqué, ne l’oublions pas, pas cette grande fête du lien armée-nation qu’est l’incorporation du nouveau contingent appelé à remplir sa mission sacrée qu’est la défense de la patrie vietnamienne (nghĩa vụ thiêng liêng bảo vệ Tổ quốc). Durant cinq jours (06 au 10 février), les différentes instances dirigeantes des provinces et des huit régions militaires ont battu le rappel des jeunes sélectionnés pour prendre le relai du contingent qui avait été incorporé fin février 2021. Comme chaque année, le battage médiatique a été bien supérieur à l’enthousiasme qu’un tel événement est susceptible de créer. Au petit jour, lors de cérémonies très rapides menées depuis le niveau chef-lieu de district, les jeunes (quelques volontaires, dont quelques jeunes femmes, et une très grande majorité d’individus n’ayant pas eu les moyens de contourner leurs obligations) ont rejoint en passant sous les éphémères « porches de la gloire » (cổng vinh quang) la grande cohorte de conscrits appelés à contribuer durant deux ans à la défense de leur patrie. 

Hải Phòng, 06 février.

Comme chaque année, La Rue des Soldats s’est plongée dans la quête de bilans sur le nombre de recrues ponctionnées par province. Force est de constater que les chiffres, trop détaillés ou volontairement trop superficiels, mentionnés par les innombrables articles de médias pléthoriques, ne permettent que d’obtenir une estimation à la fiabilité incertaine. N’oublions pas que tout ce qui relève des questions de sécurité nationale tombe sous la coupe du secret ou au moins de la plus extrême discrétion (et noyer le lecteur sous un flot de chiffres sans aucune base commune est aussi un bon moyen de « surdésinformer » !). Pour autant, l’application d’une même méthode de recherche depuis plusieurs années offre une base de comparaison aussi objective que possible (même si l’on sait que l’objectivité n’est pas la vertu cardinale des médias, en particulier vietnamiens). Il est donc permis d’estimer que le volume global de recrues 2023 est légèrement supérieur à celui du contingent qui avait été incorporé il y a deux ans et qui a été libéré de ses obligations militaires en janvier, dans une discrétion qui tranche avec le déploiement d’autorités pour motiver les recrues à quitter leurs familles pour embarquer dans les bus et « la route vers l’inconnu ». Visiblement, des unités doivent avoir la capacité d’accueillir des effectifs légèrement supplémentaires (plus de 8 000 militaires à l’échelle nationale par rapport aux chiffres collectés en 2021). En tout état de cause, le nombre de recrues sélectionnées par district et province s’avère le fruit d’un savant calcul puisque, in fine, le nombre de jeunes incorporés dans les rangs de l’armée et des unités du ministère de la sécurité publique (Công an) restent globalement stable par rapport à la population recensée dans chaque province. 

Une prise de hauteur montre que la foule ne se mobilise pas 
(Sơn La, 10 février)

Comme nous le mentionnons chaque année, les forces de défense et de sécurité ne prélèvent qu’une infime part des forces vives du pays. La plus lourde contribution (en pourcentage de la population) incombe aux provinces les plus rurales (0,22 % pour les provinces frontalières de Lào Cai ou Điện Biên) tandis que les deux grandes métropoles que sont Hà Nội et Hồ Chí Minh-Ville fournissent des contingents qui peuvent dans l’absolu être significatifs (4 200 pour l’une et plus de 4 600 pour l’autre) mais ne sont qu’une goutte d’eau comparés à leurs très fortes populations (moins de 0,05 %). Cette tendance est durable, de même que la forte représentation des classes d’âge de 18 à 21 ans (les deux tiers des conscrits). Pour autant, cela ne signifie nullement que le Viêt Nam abandonne son esprit de défense. L’ancrage d’un programme d’éducation de défense dans les programmes scolaires, jusqu’au niveau universitaire, permet au moins de diffuser au sein de toutes les classes d’âges une sensibilisation (théorique et concrète) à la défense du pays, situation qui a disparu dans tant de pays (occidentaux notamment) convaincus que leurs petites armées professionnelles sont le meilleur des garants d’une paix gagnée par leurs aînés. Une conviction certes confortable mais risquée. 

*    *

Je conclurai cet état d’actualité par la confirmation d’une réalité, que tant de partenaires occidentaux du Viêt Nam refusent d’entendre clairement : le régime de Hà Nội ne prend aucune position contre la guerre conduite depuis un an par la Russie en Ukraine

Alors que les militaires se préparent à participer pour la cinquième fois aux Army Games (*), faisant comme si Moscou allait organiser une nouvelle édition à l’été, le Viêt Nam s’est de nouveau abstenu lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies (23 février) sur la résolution qui « exige de nouveau que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays, et appelle à une cessation des hostilités ». L’ambassadeur du Viêt Nam aux Nations unies Đặng Hoàng Giang, exprimant à nouveau l’attachement de son pays au respect du droit international et au règlement pacifique des différends, est allé jusqu’à appeler les belligérants, donc sans les différencier, à cesser les combats et s’engager dans la voie de la désescalade et de la négociation. Cette prise de position, au plus haut niveau de la diplomatie internationale (et partagée régionalement par Pékin et Vientiane, qui se sont aussi abstenu lors du vote), confirme si besoin est encore nécessaire le refus de Hà Nội de s’engager dans une démarche appelant Moscou à cesser son agression contre son voisin. En se réfugiant derrière son principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, dogme bien pratique pour qui ne souhaite pas porter atteinte à sa relation historique avec Moscou, forgée dans les guerres idéologiques et pour l’indépendance du Viêt Nam, le régime de Hà Nội continue de se présente à la face du monde comme l’un des alliés objectifs de la Russie.

Si cette solidarité s’exprime avec plus de nuances, plus d’enrobage d’attachement au droit international que celle qui transparaît dans les déclarations de Pékin, le PCVN ne sait prendre une once de distance par rapport à Moscou. 

L’« élection », le 03 mars par l’assemblée nationale, de M. Võ Văn Thưởng au poste de président de la république, voit la progression dans la hiérarchie sommitale du PCVN d’un proche de Nguyễn Phú Trọng. Son jeune âge le prépositionne déjà comme un candidat de choix à la succession du secrétaire général du Parti à l’horizon 2026 (**). 

Il est à cet égard exclu que, dans ses fonctions essentiellement de représentation sur la scène internationale, le nouveau chef de l’Etat affiche quelque inflexion que ce soit contre la guerre menée par le président Poutine en Europe. La communauté internationale pourra (ou pas tant sa mémoire s’effrite vite) regretter d’avoir soutenu l’intégration du Viêt Nam au Conseil de sécurité des Nations unies – en tant que membre non permanent en 2020-2021 (et ce pour la seconde fois en 15 ans, une belle prouesse…). 

                                                                            *    *    *

(*) Le 28 février 2023, le général de brigade Lê Xuân Sang, directeur adjoint du Département « émulation» (appartenant au Département général Politique de l’armée populaire vietnamienne) a dirigé une réunion consacrée à la participation d’un détachement à la compétition « culturelle » organisée lors des prochains Army Games en Russie. 

Plus que la nature de cette épreuve, à laquelle l’APVN a déjà participé, cette réunion semble démontrer que la Russie, malgré la poursuite de ses opérations dans la guerre d’agression contre l’Ukraine, a la volonté et les moyens d’organiser ces véritables jeux olympiques militaires (même dans un format dégradé en raison de ces mêmes opérations). La quasi absence de communication sur ce rendez-vous rendait pourtant plausible une annulation de ces épreuves. 

Certes, le Département « émulation » ne confirme pas que les Army Games vont se dérouler à l’été 2023. Il annonce juste la sélection de 20 militaires pour participer à un stage d’un mois (1er au 30 mars) visant à mettre au point une chorégraphie qui sera présentée à la compétition, si elle a lieu. Un conditionnel qui ne figure pas dans les mots du général Sang lorsqu’il a rappelé que « 2023 est la cinquième année de participation du Viêt Nam aux Army Games ».

 

(**) Agé de 52 ans, Võ Văn Thưởng est le plus jeune des seize membres du bureau politique du PCVN. Très proche de Nguyễn Phú Trọng, il dirige la très puissante commission de propagande du Parti. Seul candidat à la succession de Nguyễn Xuân Phúc, il a été élu avec les voix de 487 des 488 députés. 


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