mercredi 8 juillet 2020

A défaut de contacts directs, le ministère vietnamien de la défense adepte de la diplomatie virtuelle

Dans ce monde de la diplomatie de défense largement impacté par la pandémie de COVID-19, le Viêt Nam a perdu de nombreuses opportunités de montrer, notamment à l’attention de sa propre opinion publique, son dynamisme – très relatif en réalité, car reposant essentiellement sur le bon vouloir de partenaires souvent très lointains. L’année 2020, qui devait être marquée d’une pierre blanche avec la présidence vietnamienne de l’ASEAN, s’est d’ores déjà transformée en année grise, que Hà Nội tente de sauver tant bien que mal. Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’ASEAN organisé par visioconférence (26 juin), report en août de la revue navale initialement prévue le 7 mai pour donner du faste au 65eanniversaire de la marine populaire vietnamienne – un report qui se transformera en annulation faute de participants et en raison du spectre du souvenir de l’escale de l’USS Theodore Roosevelt à Đà Nẵng début mars, report des relèves de plusieurs officiers insérés dans les états-majors onusiens au Soudan du sud et en république Centrafricaine, les occasions de mettre en valeur la place de l’armée vietnamienne sur la scène internationale ont chuté drastiquement. Certes il ne faut pas oublier l’implication totale de l’armée dans la lutte et la prévention de la pandémie sur le territoire national, avec en fer de lance la task force dirigée par le général de corps d’armée Trần Đơn, mais le temps des rencontres directes d’autorités a cessé depuis début mars. Depuis la réception du général d’armée Koji Yamakasi, chef d’état-major des armées japonaises (2 mars 2020), le ministre de la défense et ses grands commandeurs n’ont rencontré aucun partenaire majeur.
Avec un ministre de la défense - général d’armée Ngô Xuân Lịch - à nouveau totalement absent de la scène diplomatique militaire, et plus à l’aise dans sa peau d’ex-commissaire en chef des armées pour se concentrer sur la préparation du 13e Congrès national du Parti communiste vietnamien (PCVN), c’est donc le général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, vice-ministre de la défense, chargé des relations internationales, qui s’est vu incomber la tâche de rétablir le contact avec les partenaires internationaux du pays. Une mission dont les effets ont progressivement transparu dans les médias, sous forme de brefs comptes rendus de visioconférences, très probablement toutes à l’initiative de Hà Nội et essentiellement dans le cadre de sa présidence, en 2020, de l’ASEAN. Contraint de développer de nouveaux canaux de communication, le ministère vietnamien de la défense a visiblement réussi cet exercice technique. Tous les reportages, réalisés par le service de communication des armées, mettent en scène le général Vịnh, entouré de quelques grands adjoints (systématiquement son directeur des relations extérieures, le général de division Vũ Chiến Thắng, ponctuellement le directeur du Département des opérations de maintien de la paix, le général de brigade Hoàng Kim Phụng) et de quelques officiers d’état-major, ainsi que de représentants de l’ambassade du pays concerné.
Le GDI Chiến Thắng (2ème à gauche) et le GBR Phụng (2ème à droite). Visioconférence avec le GAR Graziano (président du comité des chefs d'état-major de l'UE)
Dans son tour d’horizon des grandes capitales, le général Vịnh a ainsi successivement approché : Tokyo (10 juin), le président du Comité des chefs d’état-major de l’Union européenne (12 juin), Canberra et Ottawa (16 juin), Londres (22 juin), Washington (1er juillet), Moscou et Wellington (3 juillet), Séoul (06 juillet). Manquent à ce tour d’horizon Paris et Berlin, voire Rome (mais le général Graziano, dans ses fonctions à l’Union européenne, a certainement été approché sous sa double casquette, européenne et italienne), probablement en raison de la difficulté d’harmoniser des agendas et/ou par manque de ressources humaines véritablement consacrées, dans ces capitales, aux relations avec l’Asie du sud-est.
L’on retiendra de ces divers entretiens :
  • Un ciel sans nuages avec la Russie, ou aucun haut dirigeant vietnamien n’a cependant pu faire le déplacement à l’occasion de l’anniversaire de la victoire sur le fascisme ; pour autant, les militaires vietnamiens se préparent à participer à l’édition 2020 des Army Games, qui se tiendront - sauf contrainte majeure due à la pandémie de COVID-19 - du 23 août au 05 septembre dans dix pays (Arménie, Azerbaidjan, Biélorussie, Chine, Inde, Iran, Kazakhstan, Mongolie, Russie, Uzbekistan) ;
  • La volonté de Hà Nội de resserrer les liens avec Bruxelles, et notamment d’obtenir le soutien de l’EMUE et/ou de nations membres pour soutenir l’insertion de quelques militaires dans une opération européenne (EU Training Mission) ;
  • Une relation sans grand enthousiasme avec Washington, en cette année pourtant marquée par le 25e anniversaire du rétablissement des relations bilatérales (12 juillet 1995) ; pourtant, la posture de présence militaire américaine en mer de Chine méridionale a de quoi satisfaire le Viêt Nam, qui est à nouveau confronté à une présence chinoise pesante jusque dans ses eaux territoriales revendiquées (incidents avec entre flottilles de pêche ; consolidation des bastions chinois tels que Fiery Cross Reef) ;
  • Un lien fort avec Tokyo, où le général Nguyễn Chí Vịnh s’était rendu juste avant que n’éclate au grand jour la réalité de la pandémie de Covid-19 afin d’obtenir le soutien aux activités du Viêt Nam durant son année de présidence de l’ASEAN, et avec Séoul, qui apporte son appui aux efforts d’équipement de la police maritime ; il en est de même avec New Delhi, partenaire historique de Hà Nội ;
  • Une grande satisfaction quant à l’aide reçue de Canberra, de Wellington mais aussi de plus en plus de Londres en matière de formations linguistiques et d’adaptation à l’insertion dans les opérations onusiennes de maintien de la paix. Ces entretiens se sont ainsi déroulés quelques jours après la conclusion de plusieurs stages linguistiques longs, durant lesquels plusieurs dizaines d’officiers ont été formés :
    • par les Australiens : Ainsi, le colonel Paul Foura, l’attaché de défense australien à Hanoi, a remis le 26 juin à l’unité 871 (école des langues, qui appartient au Département général Politique) à 143 stagiaires leur diplôme de fin de stage. L’occasion pour le chef de la mission de défense de rappeler que plus de 2 500 militaires vietnamiens ont bénéficié depuis vingt ans de cours d’anglais et que chaque année quelque 300 officiers participent à des formations en Australie ou au Viêt Nam (à Hà Nội, Hồ Chí Minh-Ville et Nha Trang). Un niveau qu’aucune nation occidentale n’est capable d’atteindre et qui fait de l’Australie LE partenaire de confiance du Viêt Nam. Ce partenariat devrait perdurer, à l’aune de la revue stratégique de défense que le premier ministre Scott Morrison a présentée le 1er juillet et qui indique clairement l’intention de Canberra de porter l’effort sur l’Asie du sud-est afin d’y contrebattre au plus loin l’influence chinoise, menace stratégique pour les intérêts de l’Australie.
    • par les Britanniques, qui ont procédé le 19 juin à la remise de diplôme aux stagiaires de toutes armes qui, pendant plus de cinq mois, ont suivi les cours délivrés par le British Council ; un programme de 400 heures de cours, qui fait ses preuves pour la huitième année. 
      • Mais aussi par les Néo-Zélandais, que le général Vịnh a remerciés pour leur aide dans le rapatriement de deux stagiaires dans un contexte sanitaire difficile. 

    Au bilan,  il ressort de ces entretiens, qui ont visé à préparer la courte réunion (7 juillet par visioconférence) de l’ASEAN Defense Senior Officials’ Meeting élargie à huit partenaires - Australie, Chine, Corée du sud, Etats-Unis, Inde, Japon, Nouvelle-Zélande, Russie) (*) - plusieurs grandes tendances : 
    • la solidité du lien entre militaires vietnamiens et russes (communication fluide, passé commun, futur vietnamien qui se construit dans la relation présente avec Moscou) ; 
    • un certain flou sur la relation avec les Etats-Unis, imputable d’une part à l’imprévisibilité de l’administration Trump mais aussi au manque de lisibilité d’un général Lịch peu enclin à froisser Pékin quitte à continuer d’avaler les couleuvres que lui infligent ses interlocuteurs chinois ; 
    • la mollesse de la relation entre Etats aseaniens (chacun dépendant au moins économiquement de la Chine, et donc collectivement pusillanimes face aux provocations de Pékin en mer de Chine méridionale) ; 
    • enfin, le bon placement des anglo-saxons emmenés par l’Australie, particulièrement efficients avec leur axe d’effort placé sur l’appui à l’insertion dans la communauté internationale anglophone et dans la sphère des opérations onusiennes de maintien de la paix, en milieu anglophone. 
    • Dans ce cadre, la partie sera difficile pour l’UE, qui semble pourtant faire de l’Asie du sud-est une de ses priorités (et d’en sous-traiter la réalité des actions de coopération à ses Etats-membres, malgré leurs capacités limitées), face à la cohésion et la cohérence des actions des partenaires occidentaux de proximité, Australie en tête depuis longtemps.

    La donne ne devrait pas changer à court terme, d’autant plus que les enjeux du Congrès du PCVN (relève de génération de dirigeants) ne militent pas pour une atteinte aux équilibres. L’on y verra pour preuve l’absence de contact, même virtuel, entre le général Vịnh et le haut état-major chinois. L’intention a peut-être été évoquée, mais le silence qui l’a accueillie ou le peu d’empressement à y donner suite témoigne de la volonté de Pékin de faire peser un sentiment d’inquiétude sur sa relation pourtant historique avec son voisin, afin de contraindre les instances dirigeantes du PCVN à faire le « bon choix » dans la sélection de sa future équipe dirigeante.

    (*) Ouverte par le général Lịch, qui s’est rapidement éclipsé pour laisser le général Vịnh à la manœuvre, la réunion a sans surprise fait le constat que le temps n’était pas encore venu pour les participants de se retrouver physiquement. Pour autant, le général Vịnh a évoqué l’espoir qu’une fenêtre d’opportunité se dessine « en août » pour que le sommet de l’ADSOM+ soit officiellement organisé. L’avenir dira si ce volontarisme se concrétise, mais il est permis d’en douter.





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