L’heure de refermer le livre de
2015 a sonné. Avant d’ouvrir la première page de 2016, ce dernier post récapitule
quelques tendances fortes de cette année, riche en événements mais exempte de
tensions majeures, tout au moins en surface.
Une nette embellie des relations entre Hanoi et Pékin. Certes,
après la glaciation de l’été 2014, résultant de l’irruption de la plateforme de
forage pétrolier chinoise HD-981 dans
les eaux territoriales revendiquées par Hanoi, à l’ouest des Paracel (mai à
mi-juillet), la situation ne pouvait que s’améliorer – ou dégénérer plus avant
en un conflit localisé. Sous l’impulsion des dirigeants du Parti communiste
vietnamien (PCVN) et du haut état-major (le ministre en première ligne, suivi
par tous ses grands commandeurs), 2015 s’est donc inscrite sous le signe de la réconciliation.
Dans cette année du 65e anniversaire des relations bilatérales, les
deux voisins, pourtant toujours tiraillés sur l’épineuse question des
revendications territoriales en mer « de l’Est », ont renoué le
dialogue au plus haut niveau. Tandis que les échanges de délégations ont
atteint un niveau très élevé, l’année a été couronnée, le secrétaire général du
PCVN, Nguyễn Phú Trọng, a effectué ce qui devrait être sa dernière visite ès qualité à Pékin (07 au 10 avril), de
même que le président de l’assemblée nationale, M. Nguyễn Sinh Hùng (23 au 27
décembre). En retour, le président Xi Jinping a été reçu à Hanoi, pour la
première fois en tant que chef d’Etat (06 novembre), par les plus hautes
autorités vietnamiennes, dont le premier ministre Nguyễn Tấn Dũng, ambitieux
prétendant à la succession de Nguyễn Phú Trọng à la tête du PCVN.
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Le président Xi Jinping accueilli par le premier ministre Nguyễn Tấn Dũng |
Si les sourires ont bien repris
place sur les écrans et les unes des journaux, suggérant une harmonie
retrouvée, force est de constater que les griefs des Vietnamiens contre les
intenses activités chinoises dans les archipels des Paracel et Spratley
perdurent. Aucun signe de détente réelle ne semble perceptible dans une opinion
nationale très sensible à ces questions nationalistes, d’autant plus que les
dirigeants du PCVN, qui basent leur légitimité sur la défense des droits
ancestraux du peuple vietnamien, ne peuvent baisser la tête devant à la
pression chinoise permanente contre les navires de pêche, avec en arrière plan
une intense campagne de poldérisation des atolls sous possession chinoise de
cette mer de Chine méridionale. En cette année décisive pour la préparation du
douzième Congrès national du PCVN, cet apaisement diplomatique était bien dans
l’ordre des choses, tant les relations entre partis frères demeurent le
fondement de la relation contemporaine entre Hanoi et Pékin. Mais l’héritage de
millénaires de rivalité, et de siècles d’oppression chinoise, dont la mémoire
est savamment entretenue auprès de toutes les générations de Vietnamiens, ne
s’effacera pas d’un coup de pouce.
Après le calme, 2016 pourrait
nous réserver une période de test de la nouvelle hiérarchie du PCVN par Pékin.
Une intensification des provocations en mer « de l’Est » pourrait en
être un bon témoin.
La première visite officielle d’un secrétaire général du PCVN à
Washington depuis la fin de la guerre. En amont du vingtième
anniversaire de la restauration des relations bilatérales (12 juillet 1995), de
très nombreuses visites croisées se sont succédées (*). Elles se sont concrétisées
par le déplacement de Nguyễn Phú Trọng à Washington (06 au 10 juillet),
étape-clé dans le réchauffement continu des relations bilatérales, mais ne se
sont pas prolongées par la visite – pourtant annoncée – du président Obama à Hanoi.
Agenda chargé, puis repli du PCVN sur la préparation du Congrès, la fenêtre
d’opportunité s’est fermée. Avec les élections législatives vietnamiennes
prévues pour le 22 mai 2016, ce déplacement pourrait n’intervenir qu’à partir
de l’été prochain. Pour autant, les contacts demeureront étroits, notamment
entre décideurs militaires, Hanoi comptant sur un signe fort de Washington face
aux activités chinoises en mer « de l’Est ». Néanmoins, la levée
totale de l’embargo américain sur les armes létales, régulièrement demandée par
les autorités vietnamiennes, n’est pas encore actée. Son effet pourrait
d’ailleurs être plus symbolique que décisif dans l’équipement de l’armée
vietnamienne, toujours très liée à l’industrie de défense russe.
(*) Le général de corps
d’armée Nguyễn Chí Vịnh, vice-ministre de la défense, en charge des relations
internationales, s’est rendu deux fois aux Etats-Unis (23-24 mars puis 27 septembre
au 02 octobre), notamment à l’invitation du sénateur Mc Cain. Temps forts de la coopération de défense, le secrétaire
d’Etat à la défense, Ashton Carter, a rencontré les plus hauts responsables du
ministère et de l’état-major général des armées (31 mai -1er juin)
et a eu le privilège d’être reçu à l’état-major de la marine à Hải Phòng.
Les préparatifs de la passation de pouvoir entre deux générations de
dirigeants. Dans un contexte d’intenses rivalités pour l’accès au poste de
secrétaire général du PCVN lors du Congrès -désormais planifié du 20 au 28 janvier 2016 - l’armée a préparé sans heurt apparent l’installation
d’une nouvelle équipe dirigeante. Le général Phùng Quang Thanh devant quitter
ses fonctions au terme de deux mandats à la tête du ministère de la défense, le
général armée Đỗ Bá Tỵ, vice-ministre de la défense et chef de l’état-major
général des armées, présente tous les pré-requis pour lui succéder.
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Les généraux Ngô Xuân Lịch (G) et Đỗ Bá Tỵ (D) |
Pour
autant, dans un monde très opaque, où rien n’est acquis d’avance, une surprise
ne peut être exclue. Le général d’armée Ngô Xuân Lịch, directeur du très
puissant Département général politique du ministère de la défense, fait figure
de poids lourd face au général Tỵ. Cependant, sa nomination au poste de
ministre signifierait un coup de froid sur l’ouverture de l’armée populaire à
des partenariats avec les grandes puissances occidentales, de par le fait que
le général Lịch - en raison de ses fonctions - ne rencontre aucun dirigeant
occidental et ne dispose donc pas de contacts au sein de la communauté
internationale de défense. A contrario, le général Đỗ Bá Tỵ a rencontré tous
les plus importants responsables militaires qui se sont rendus à Hanoi et a
effectué de nombreux déplacements, y compris aux Etats-Unis. Sa reconnaissance
parmi ses pairs est déjà actée. Enfin, certaines voix donneraient une chance au
général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, vice-ministre de la défense, chargé
des relations extérieures. Homme de tous les déplacements et de toutes les
réunions, issu d’une famille prestigieuse (son père, le général d’armée Nguyễn
Chí Thanh, était un compagnon d’armes de Hồ Chí Minh) et ayant commandé le très
puissant service de renseignement militaire (Tổng cục 2), il possède encore une marge de progression et une
ambition réelle. Cependant, il n’a pas fait carrière dans la voie
opérationnelle. Le fait qu’il n’a - logiquement - pas été promu au rang de
général d’armée cette année ne milite pas pour son accession au poste suprême.
Poursuite de la modernisation des armées, avec effort sur les
composantes maritimes. Dans le prolongement des années précédentes, la
marine et la police maritime (dont les bâtiments portent désormais
systématiquement les marquages « gardes-côtes ») continuent de réceptionner
des bâtiments flambant neufs, construits pour beaucoup d’entre eux par les
chantiers navals vietnamiens, en partenariat avec les Pays-Bas (chantiers
navals Damen pour la police maritime)
ou la Russie (corvettes Molniya). La
constitution d’une brigade sous-marine dans la base navale de Cam Ranh (Lữ đòan 189) se poursuit conformément au
planning annoncé, avec la livraison de deux Kilo
en début d’année. Le cinquième sous-marin (HQ-186
Đà Nẵng) est en cours d’acheminement vers son port-base, qu’il atteindra
fin janvier 2016. Le dernier exemplaire, qui a commencé ses essais à la mer,
complètera le dispositif fin 2016.
L’armée de l’air, qui a perdu
deux Su-22 en avril, voit désormais
ses MiG-21 atteindre leur fin de vie.
Leur renouvèlement reste encore non résolu, les Su-27 et Su-30 ne pouvant
compenser le retrait de nombreux appareils. La flotte de transport, qui a reçu
trois Casa C-295-M, doit quant à elle encore
poursuivre le remplacement de ses An-26.
Enfin, l’armée de terre reste
encore en marge de ces efforts de modernisation. Cette situation pourrait
changer durant les cinq prochaines années, comme l’a annoncé le 22 décembre le général
de corps d’armée Võ Văn Tuấn, adjoint au chef d'état-major général des armées.
2016... Le douzième congrès national du PCVN, du 20 au 28 janvier prochain,
devrait confirmer ces orientations qui, de manière générale, ne constituent pas
une rupture dans la politique de défense du pays. Le principal attendu en sera
l’annonce de la nouvelle génération de dirigeants appelés à prendre les rênes
du pays pour (au moins) les cinq prochaines années.