Le 02 mai 2014, le bureau des affaires maritimes
chinois a annoncé qu’une plateforme de forage pétrolière (HD-981) avait entamé
des explorations jusqu’au 15 août 2014 dans l’archipel des Paracel, sur une
position estimée à 15°29'58" Nord - 111°12'06" Est, à quelque 120
milles nautiques des côtes vietnamiennes.
Le ministère vietnamien des affaires étrangères,
par la voix de son porte-parole, Lê Hải Bình, a accusé
deux jours plus tard Pékin d’avoir fait pénétrer cette plateforme dans la zone
économique exclusive du Viêt Nam et de la faire opérer sur le plateau
continental vietnamien, en violation de la Convention internationale sur le
droit maritime (convention de Montego Bay - 1982), du code de conduite de
l’ASEAN en mer de Chine méridionale, et de la loi sur la mer adoptée par la
législation vietnamienne.
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04 mai 2014 - Intervention de M. Lê Hải Bình |
Ajoutant à la tension, le déploiement de cette
plateforme s’est opéré sous importante escorte navale. Selon le journal Quân
đội Nhân dân (13 mai), quelque 86 navires chinois ont participé à cette
opération, vraisemblablement planifiée à une période où les conditions
météorologiques sont favorables aux mouvements en mer. Parmi ces navires
auraient figuré deux bâtiments militaires (une
frégate lance-missiles et un patrouilleur), 32 bâtiments de police maritime,
sept navires de secours en mer, 19 cargos, un pétrolier, et de nombreux navires
de pêche de différentes tailles.
Les navires vietnamiens
(police maritime, police des pêches notamment) dépêchés sur zone se sont
rapidement heurtés à cet imposant dispositif, articulé en plusieurs cercles
afin de protéger la plateforme. De provocations en intimidations, la situation
a rapidement dégénéré, donnant lieu à des accrochages entre navires chinois et
vietnamiens. Les autorités vietnamiennes ont ainsi affirmé que plusieurs de ses
bâtiments ont été percutés et endommagés, tandis que d’autres ont été engagés
au canon à eau.
Malgré les appels à l’apaisement, lancés (11
mai) par l’Association des nations du sud-est asiatique (ASEAN) lors du sommet
de Naypyidaw (Birmanie) et par le secrétaire général des Nations Unies, la
tension n’a pas diminué.
Ainsi, les 12 et 13 mai, de nouveaux accrochages
ont été rapportés près de la plateforme. Toujours selon la presse vietnamienne,
trois navires chinois ont notamment encerclé un navire de police maritime
vietnamien, le prenant à partie au canon à eau et le heurtant délibérément,
endommageant sa coque. Si aucune victime n’a été déplorée, la situation reste
très tendue, les protagonistes campant sur leurs positions.
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Source: AP |
A terre, au Viêt Nam,
cette crise a donné lieu à une mobilisation populaire d’une rare ampleur.
Les
médias, sous toutes leurs formes, diffusent depuis plus de dix jours des
messages de soutien aux navires vietnamiens confrontés aux « agresseurs »
chinois. De très nombreux sites Internet ont rapidement orné leurs portails de
slogans nationalistes, très anti-chinois et martelant l’appartenance des
Paracel et des Spratley à la patrie vietnamienne.
Dans
les rues, dès l’annonce des premiers accrochages maritimes, de nombreuses
manifestations anti-chinoises ont éclaté dans les principales villes du pays. Réunissant ponctuellement plusieurs centaines de personnes, notamment face à l’ambassade de Chine à Hanoi, elles ont dégénéré le 13 mai, notamment dans les provinces de Bình Dương et de Đồng Nai, près de Hô Chi Minh-Ville, en des agressions contre des usines identifiées comme «chinoises » (y compris certaines entreprises taïwanaises confondues avec des sociétés chinoises).
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11 mai - Hô Chi Minh-Ville. Manifestation devant le théâtre. |
Les mouvements de foule se sont
poursuivis les 14 et 15 mars, allant jusqu'à concerner un tiers des provinces
du pays et toutes les grandes villes. Les manifestations ont parfois dépassé le
simple mouvement de contestation, des jeunes en ayant profité pour se livrer à
de véritables pillages.
Plusieurs dizaines de personnes
auraient été blessées dans les affrontements, qui ont conduit dans le sud du
pays quelques centaines de Chinois à se réfugier au Cambodge.
Ces agressions n'ont pas conduit
Pékin à retirer la plateforme pétrolière hors de la ZEE revendiquée par Hanoi.
La guerre des déclarations se poursuit, Hanoi recherchant notamment des
soutiens de poids dans la communauté internationale et n'hésitant pas à produire des "preuves" de la légitimité de ses revendications sur les Paracel. Ainsi, le 13 mai, le ministère de l’information et de
la communication a présenté à la presse un atlas géographique mondial, publié
en 1827 par un géographe belge, Philipe Vandemaelen, et contenant une planche
qu’il estime confirmer le fait que les Paracel – tout comme les Spratley -
appartenaient à la Cochinchine du temps de la colonisation française, ce qui dénierait à la Chine tout droit sur l’archipel.
Dans cette bataille
médiatique, les visites de délégations étrangères représentent autant
d'opportunités pour la presse écrite et télévisée de diffuser un discours
présentant ces visites, pour la plupart prévues de longue date, comme étant des
marques de soutien international à la cause vietnamienne.
Et maintenant? Alors que la
tension ne faiblit pas, les dirigeants vietnamiens vont devoir trouver une
sortie à cette crise dans laquelle, plus le temps passe, ils pourraient avoir
plus à perdre qu’à gagner. Face à une Chine en position de force sur le
terrain, qui a soigneusement préparé cette irruption dans une zone au statut
contesté mais qu’elle contrôle de facto
depuis près de 40 ans, ils courrent le risque de perdre doublement la face :
- au plan interne, au regard des 91 millions de
Vietnamiens qui, par delà les aspirations matérielles quotidiennes, restent
particulièrement sensibles à toute atteinte à la souveraineté nationale,
conquise de haute lutte et régulièrment rappelée par les responsables
politiques. Céder sous la pression, même sous un prétexte diplomatiquement
correct, ternira sans aucun doute l’image du Parti communiste et du
gouvernement au sein de la population, en raison de leur incapacité à faire
respecter
- sur la scène régionale, face à l’éternel rival
chinois, qui dispose des moyens - économiques et militaires -de confirmer ses
ambitions, accroissant par petits pas son empreinte en mer de Chine
méridionale.
Bien que consacrant d’importants investissements
pour moderniser sa marine et, dans une moindre mesure, ses forces aériennes, le
Viêt Nam a encore besoin de temps pour se doter de capacités opérationnelles
avérées, lui permettant de contrôler de son vaste espace aéromaritime et
rivaliser avec les Chinois. Si l’armée populaire vietnamienne dispose
des moyens pour engager une confrontation locale, ses capacités ne lui permettent cependant pas (encore) de
soutenir un effort en haute mer face à une Chine numériquement très supérieure.
Dans ce choc des volontés, la raison du plus
riche devrait donc faire loi. Sauf intervention extérieure (illusoire de la part de
l’ASEAN, trop risquée de la part des Etats-Unis, possiblement négociée par
l’intermédiaire - diplomatique - de la Russie, dont le président doit
prochainement se rendre à Pékin), il est probable que le Viêt Nam baisse non la
garde mais ses revendications. Hanoi pourrait ainsi se limiter à exiger le
départ de la plateforme de sa zone de déploiement pour la mi-août (ce qui
correspondrait à la date de fin de prospection telle qu'initialement annoncée
par le Chine), au risque de donner l’impression de ne plus s’opposer à cette
mission et à la présence de la plateforme HD-981 dans les Paracel.
Reste que la plaie ne se refermera pas à brève
échéance, au sein des instances dirigeantes du pays mais surtout au niveau
local, où la flambée de violence laissera des traces, certaines compagnies
étrangères pouvant être tentées de se retirer du pays, au grand dam d'une
population dont les emplois dépendent en grande partie de ces compagnies.