Il est des millésimes incontournables, tant sur le plan du souvenir des grands faits de l’Histoire d’une nation que sur celui de l’entretien de la légitimité d’un régime. Le soixante-dixième anniversaire de la victoire de l’armée populaire vietnamienne à Điện Biên Phủ est l’un de ces événements qui bénéficient d’une préparation toute particulière. Cadrés par la directive 69/CT-BQP du ministère de la défense, du 18 février 2024, les préparatifs de cette cérémonie ont été confiés au général de corps d’armée Nguyễn Văn Nghĩa, adjoint au chef de l’état-major général des armées, chargé entre autres de l’entraînement des forces.
Durant plus de deux mois, les personnels sélectionnés se sont entraînés au sein de leurs unités puis ont été regroupés à Hà Nội, avant de rejoindre la province de Điện Biên pour le 25 avril.
Depuis le 26 avril, en présence du général Nghĩa, les répétitions finales se succèdent sur le site des commémorations. Plus de 12 000 militaires, membres des milices d’autodéfense, représentants des associations d’anciens combattants et de la société civile, et mouvements artistiques spécialisés dans l’émulation des combattants, se produiront dans un cérémonial parfaitement rodé devant les autorités qui feront l’incontournable déplacement jusqu’au site de l’ancien champ de bataille - à l’exception notoire et unique du président de la république et du président de l’assembléen nationale, postes vacants depuis les démissions forcées de Võ Văn Thưởng (20 mars) et de Vương Đình Huệ (26 avril) pour implication dans des affaires de corruption.
La cérémonie s’ouvrira sur une salve de 21 coups de canons.
Pour l’occasion, le général de brigade Nguyễn Hồng Phong, commandant en chef de l’artillerie, a fait acheminer 18 canons de 105 mm le 22 avril de Hà Nội jusqu’à Điện Biên, où ils ont été déployés au sein de l'enceinte du Musée de la victoire de Điện Biên Phủ. Comme c’est le cas pour toute cérémonie de ce type, les servants de pièces se sont activés pour donner un coup de lustre à ces armes, allant jusqu’à cirer et repeindre les pneus de leurs roues. Le jour J, quinze canons seront mis en action, trois autres étant conservés en réserve en cas de dysfonctionnement d’une pièce.
Dans les airs, douze hélicoptères et équipages, prélevés au sein des régiments 916, 917 et 930, ont été préparés pour un défilé aérien. Neuf seront engagés avec, sous élingue, les drapeaux vietnamien et du Parti communiste (deux autres seront prêts à pallier une défaillance technique d’un appareil, un dernier étant dédié à d’éventuelles opérations de secours en cas d’accident).
Dans le domaine de la communication, tous les médias vietnamiens nourrissent des chroniques très denses sur ces 56 jours et nuits de combats conclus par la victoire vietnamienne. L’on citera notamment la rubrique du Nhân dan (« Le Peuple ») et bien sûr sa déclinaison militaire (Quân đội Nhân dân), qui mettent largement en valeur l’héroïsme et de l’esprit de sacrifice de tout un peuple, la « direction éclairée du Parti » et l’aura d’Hồ Chí Minh et de son état-major. Des valeurs humaines et forces morales de la nation qui continuent d’être enseignées à toutes les jeunes (et moins jeunes) générations, notamment au travers des cours d’éducation de défense (Giáo dục Quốc phòng) inscrits aux programmes scolaires. Difficile de trouver pareille œuvre mémorielle du côté français, tant il est vrai que l’Histoire, et surtout celle liée à la colonisation, offre un terreau fertile aux joutes partisanes, qui se font hélas souvent fi du sacrifice des combattants qui ont versé leur sang et sueur pour la France. L’on consultera en revanche avec grand intérêt le remarquable journal de marche publié le blog français Theatrum Belli sur l’action des armées françaises au jour le jour à Điện Biên Phủ.
Et pour parachever cette œuvre de rapprochement pas à pas des Histoires, la cuvette accueillera en ce 70ème anniversaire de la fin de la guerre d’Indochine la secrétaire d’Etat aux anciens combattants Patricia Mirallès et, pour la première fois depuis la fin du conflit, le ministre français des armées, M. Lecornu, qui se recueillera au petit cimetière militaire français. Gageons que, dans un esprit de « mémoire partagée », le drapeau tricolore flottera sur le monument bâti par le sergent-chef Rodel en mémoire de ses frères d’armes tombés dans les combats, et inauguré dans un quasi anonymat national en mai 1994. Et espérons que la Marseillaise sera enfin autorisée à retentir officiellement dans ce modeste carré français !
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