Partie le 28 juin 2023 de Visakhapatnam, la corvette indienne INS Kirpan a rejoint dans la discrétion la base navale deCam Ranh le 08 juillet après une courte escale à Singapour. Il s’agit du premier bâtiment ayant servi dans l’ordre de bataille indien à être offert avec son armement par New Delhi à l’un de ses partenaires.
Au plan symbolique, ce don est un signe fort de la volonté de l’Inde d’être présente jusqu’au cœur de cette mer de Chine méridionale qui cristallise les points de friction entre une Chine de plus en plus assertive face aux nations riveraines de cette espace clé pour les échanges économiques régionaux et internationaux. Il constitue aussi un événement majeur dans la relation de défense entre New Delhi et Hà Nội même si ce bâtiment d’ancienne génération (plus de 30 ans de service à la mer) avait atteint sa limite d’âge en service sous pavillon indien.
A l’image de plusieurs bâtiments américains et japonais précédemment cédés au Viêt Nam dans des conditions similaires, cette corvette est finalement sauvée du démantèlement par une nouvelle vie sous le pavillon rouge à l’étoile d’or.
Les préparatifs de son transfert à la marine populaire vietnamienne se sont déroulés loin des médias, au demeurant très rarement admis par les autorités de la 4e Région maritime (RM) à pénétrer sur ce site hautement sécurisé. La chape de silence qui a entouré ces préparatifs a finalement été brisée récemment, par un double événement :
- l’escale dans la base navale internationale du bâtiment de débarquement INS Airavat, du 21 au 25 juillet. Celle-ci a fait l’objet d’une couverture de presse très sobre, axée sur l’accueil du capitaine de vaisseau Suman Saurabh Sharma, pacha du bâtiment, par les autorités militaires et civiles locales (dont le capitaine de vaisseau supérieur Nguyễn Thái Học, adjoint au chef d’état-major de la 4e RM) ainsi que par celles de l’ambassade d’Inde au Viêt Nam.
Cette dixième escale étrangère de l’année dans un port vietnamien a été la seconde pour la marine indienne, après celle effectuée par les destroyers INS Delhi et INS Satpura à Đà Nẵng du 19 au 25 mai. Il s’est par ailleurs agi d’un retour de l’INS Airavat au Viêt Nam plus de dix ans après son premier arrêt, du 19 au 21 juillet 2011 à Nha Trang.
- le déplacement au Viêt Nam de l’amiral Hari Kumar. Dès son arrivée, le chef d’état-major de la marine indiennes’est rendu à Cam Ranh où il a :
1) présidé (23 juillet) aux côtés du contre-amiral Phạm Mạnh Hùng, premier adjoint du vice-amiral Trần Thanh Nghiêm, la cérémonie de transfert de l’INS Kirpan à la marine vietnamienne ;
L'INS Kirpan à quai derrière l'INS Airavat. |
2) visité l’Ecole navale à Nha Trang ;
3) été reçu à Hải Phòng par son homologue, avec lequel il a salué le renforcement régulier de la relation bilatérale, une réalité qui s’exprime en Inde sur le plan de la formation d’officiers vietnamiens (sous-mariniers, pilotes, artilleurs sol-air notamment) et au Viêt Nam par une fréquentation régulière des ports baignés par la mer « de l’Est », mais aussi dans les cénacles internationaux par une solidarité sur les grandes questions internationales, y compris sur l’agression russe contre l’Ukraine (maintien de relations de proximité avec Moscou).
Réception par le vice-amiral Trần Thanh Nghiêm. Ce dernier a reçu sa deuxième étoile fin mai/début juin, dans une inhabituelle discrétion médiatique pour un tel événement. |
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Au bilan, il est peu probable que la réception de ce bâtiment confère à la marine vietnamienne un saut qualitatif tant cette corvette est ancienne. Pour autant, ce bâtiment, de classe Khukri, était il y a trois décennies destiné à remplacer les corvettes de type Petya alors en service dans la marine indienne. Ce don à la marine vietnamienne, qui comprend cinq bâtiments de cette classe dans ses rangs, est donc cohérent au regard de l’existence d’une compétence technique dans cette composante pour redonner une nouvelle vie à ce bâtiment. En tout état de cause, son transfert au Viêt Nam illustre de manière concrète et visible jusqu’à Pékin l’engagement de l’Inde jusque dans cette frange de l’Indopacifique, afin d’y renforcer son influence à défaut de pouvoir contenir l’extension de l’affirmation de puissance chinoise. Une situation qui satisfait pleinement Hà Nội, même si elle ne saurait lui offrir de garantie face à un éventuel débordement de cette puissance chinoise voire à un franchissement d’un nouveau palier en matière de provocations en mer de Chine méridionale.