L’armée populaire vietnamienne bâtit une partie de son prestige sur une posture de proximité avec la population, ce peuple cité en lettres d’or sur le fond rouge des slogans qui parsèment régulièrement les rues des agglomérations et les casernes : « Do dân, vì dân, cho dân » … « Du peuple, par le peuple, pour le peuple »... Si les détracteurs de Hanoi ont souvent beau jeu de pointer du doigt une armée dont la mission première est d’être le rempart contre toute atteinte à la stabilité du régime mais dont le quotidien est souvent emprunt d’activités lucratives voire affairistes, l’actualité de cet automne vient rappeler, comme cela est chaque année le cas, l’engagement systématique des moyens militaires dans des missions d’assistance aux populations.
Comme chaque année, le Vietnam est frappé, notamment en son Centre, par de très violentes dépressions tropicales. Les abondantes précipitations qui se déversent sur des sols fragiles, dans des régions à très fortes densités humaines et aux infrastructures souvent précaires, et les inondations résultant de la montée rapide des eaux des fleuves provoquent d’importants dégâts matériels, et souvent de nombreuses victimes. L’année 2020, avec déjà plus de 110 tués, tend à s’inscrire comme une année record depuis trente ans.
L’armée populaire vietnamienne, agissant en coordination avec le Comité national de lutte contre les catastrophes naturelles, est systématiquement engagée dans les opérations d’assistance aux populations. Plus que ses moyens matériels, souvent disproprtionnés face à l’ampleur des dégâts, ce sont ses hommes qui œuvrent au contact des zones sinistrées et des victimes, jusqu’au péril de leur vie. C’est dans ce contexte qu’une trentaine de militaires viennent de périr en service en moins d’une semaine, victimes de deux glissements de terrain.
Dans la nuit du 12 au 13 octobre 2020, un détachement d’une vingtaine de militaires de la 4e Région militaire et du Comité national de lutte contre les catastrophes naturelles, engagé dans une opération de secours suite à un glissement de terrain près de la centrale hydroélectrique Rào Trăng 3 (commune de Phong Xuân, dans la province de Thừa Thiên-Huế), a été emporté par un glissement de terrain (ci-dessus). Onze militaires, dont le général de brigade Nguyễn Văn Man, l’un des commandants en chef adjoints de la 4e RM, et le colonel supérieur Nguyễn Hữu Hùng, adjoint au commandant du Département des opérations de secours du ministère de la défense, ont été tués, ainsi que deux civils.
Cet événement a causé un choc parmi la population et une vague de sympathie à l’égard des victimes, de leurs familles, et a rappelé combien l’armée, certes parfois pointée du doigt pour son affairisme, demeure au service de la population. Au plus haut niveau de l’Etat, les autorités politiques, civiles et militaires ont multiplié les messages de sympathie et les déplacements sur le terrain, avec notamment le général de corps d’armée Phan Văn Giang, chef de l’état-major général des armées, qui a participé à la cérémonie funéraire du général Man (ci-dessous au premier plan). De même, les militaires décédés - sauf le général Man - ont été promus à titre posthume au grade supérieur, y compris le colonel supérieur Hùng, promu général de brigade, une marque de reconnaissance tout à fait exceptionnelle et inédite dans le Viêt Nam du temps de paix.
Ce bilan, le plus élevé depuis le crash d’un avion de surveillance maritime CASA C-212 le 16 juin 2016 (neuf militaires tués), a donné lieu à une profonde reconnaissance de tout un pays à ses héros disparus en service.
Cette émotion s’est encore amplifiée le 18 octobre lorsque, alors même que se déroulaient les funérailles des onze soldats, les autorités ont appris qu’un autre glissement de terrain, à Hướng Phùng dans la province de Quảng Trị, plus au nord, avait dévasté dans la nuit une caserne de la 4e RM et tué 22 militaires servant dans une unité spécialisée dans des activités de mise en valeur de l’économie locale.
A nouveau, les mêmes scènes de déchirement et de soutien populaire ont jalonné les funérailles de ces « soldats martyrs », le 22 octobre en présence notamment du général d’armée Lương Cường, directeur du Département général politique du ministère de la défense (ci-dessous), et du général de division Nguyễn Tân Cương, vice-ministre de la défense.
Ces pertes exceptionnellement élevées rappellent le poids des conditions climatiques sur les conditions de vie des Vietnamiens, notamment dans ces régions frappées chaque année par les catastrophes naturelles. Les conditions dans lesquelles ces soldats ont péri, et la présence en première ligne d’officiers de haut rang, confortent l’image d’une armée en symbiose avec la société, ce qui est bien le cas dans les zones reculées. Si des critiques ont pu s’élever sur le manque de moyens dont disposent ces unités, force est de constater que face à la puissance des éléments climatiques, le risque zéro n’existe pas, et l’histoire du Viêt Nam le montre chaque année. Dans une actualité qui était marquée par la réception à Hà Nội du premier ministre japonais Yoshihide Suga, les autorités ont su témoigner empathie et proximité avec les victimes, renvoyant ainsi l’image d’une nation soudée. Un message qui sera certainement repris dans les grandes échéances de fin d’année, pour mettre en valeur les nouveaux dirigeants qui sont en train d’être élus et vont former l’ossature dirigeante du pays pour les cinq prochaines années.