mercredi 14 février 2018

Bilan de la visite du secrétaire américain à la défense à Hanoi (24-25/01/2018)

Alors même que le ministre russe de la défense Serguei Shoigu achevait sa courte visite à Hanoi, le général d’armée (en retraite) James Mattis, Secrétaire à la défense américain, a lui aussi poursuivi une tournée en Asie du sud-est par une étape à Hanoi. Arrivé le 23 janvier 2018 en fin de journée depuis l’Indonésie, où il avait été reçu par le président Joko Widodo et le ministre de la défense Ryamizard Ryacudu (22-23 janvier), il a été accueilli à Hanoi par un ambassadeur Daniel Kritenbrink parfaitement rompu à la réception de très hautes autorités depuis sa prise de fonctions, début novembre 2017. 


Rompant quelque peu avec le protocole, le général Mattis a entamé sa visite le 24 janvier sous un angle purement national, selon un programme concocté par l’ambassade. L’on y verra en effet la volonté des autorités vietnamiennes de ne pas faire se succéder trop vite dans les mêmes salons les numéros un de la défense russe et américaine, ce qui aurait pu être source de vexation, notamment à Moscou, premier partenaire militaire de Hanoi.
Dans le contexte du cinquantenaire de l’offensive du Tết Mậu Thân 1968, qui donne lieu à une abondante couverture dans les médias nationaux, le général Mattis s’est fait présenter un point de situation des travaux de la Defense POW/MIA Accounting Agency (DPAA), l’organe national de recherche des corps des soldats américains prisonniers et disparus au combat.

Le lendemain, 25 janvier, il a été accueilli officiellement par son homologue, le général d’armée Ngô Xuân Lịch, qui l’a accompagné lors de la visite d’une exposition consacrée à la lutte contre les conséquences de la guerre et les opérations onusiennes de maintien de la paix. Une visite dépolluée de tout ressentiment à l’égard du passé, à l’image de l’esprit qui sous-tend les relations entre adversaires d’hier. 
Ainsi, depuis Jakarta, le secrétaire à la défense avait annoncé dans une conférence de presse qu’« il ne pense pas beaucoup au passé » et que, lorsqu’il avait accueilli le général Lịch à Washington (08 août 2017), les deux hommes s’étaient présentés ensemble en dirigeants résolument tournés vers le futur - ce qui ne signifie pas faire table rase de l’Histoire. Washington entend ainsi bien assumer des responsabilités en matière de lutte contre les conséquences de la guerre, en s’investissant notamment dans la dépollution de régions contaminées par les défoliants déversés durant la guerre. A cet égard, cette visite est intervenue au lendemain de la signature (23 janvier) d’un memorandum of understanding (MoU) sur le traitement des zones contaminées à la dioxine de l’aéroport de Biên Hoà (province de Đồng Nai, Sud) entre l’Agence américaine de développement (USAID) et le département des sciences militaires du ministère vietnamien de la défense (*), en présence de l’ambassadeur Kritenbrink et du général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, vice-ministre de la défense, chargé des relations extérieures.

Passés les honneurs militaires, la séance de travail organisée au ministère de la défense a vu une participation vietnamienne plus importante que celle aperçue lors de la visite du général Shoigu. Alors que le général de corps d’armée Phan Văn Giang, chef d’état-major général des armées, était à nouveau absent, laissant le ministre de la défense s’affirmer comme l’unique chef de file de l’armée populaire, les commandants en chef des principales composantes hors armée de terre (marine, armée de l’air et défense sol-air, police maritime et gardes-frontières) et le directeur du Département général numéro 2 (renseignement militaire) étaient au premier plan de la table de discussion.
Les principaux axes des entretiens ont porté sur la situation régionale et notamment la liberté de navigation en mer de Chine méridionale, à laquelle Washington se montre attaché – notamment face à l’affirmation de puissance chinoise dans des eaux enjeux de nationalismes très sensibles. Outre la conduite régulière de patrouilles navales visant à affirmer cette liberté de navigation (FONOPS – Freedom of navigation operations), la délégation américaine a confirmé qu’un porte-avion américain fera prochainement escale au Viêt Nam. L’USS Carl Vinson devrait ainsi faire relâche, non dans la base internationale de Cam Ranh, mais à Đà Nẵng / Tiên Sa en mars 2018. Ce symbole fort du retour d’un porte-avion américain dans un port vietnamien pour la première fois depuis la fin de la guerre entre les deux pays est cependant atténué par le fait que Cam Ranh est évité, ce qui évite de donner tant à Pékin qu’à Moscou un signal sur un trop rapide rapprochement entre Hanoi et Washington, et évite aux autorités de la 4e Région maritime et de la base navale qui abrite les fleurons de la marine populaire (la brigade 189 avec ses six Kilo 636, et la brigade 162 avec désormais quatre frégates lance-missiles Gepard 3.9) de voir débarquer plusieurs milliers de marins américains, autant d’yeux pourdresser un état des lieux d’infrastructures très sensibles. 

Enfin, toujours sur le plan maritime mais sous l’angle de la composante police maritime, les Américains pourraient livrer à l’horizon 2019 un second patrouilleur de gardes-côtes de classe Hamilton. Après l’USCGC Morgenthau, qui a rejoint le 16 décembre 2017 l’ordre de bataille de la 3e région de police maritime (Vũng Tàu, Sud) sous le numéro 8020, il pourrait s’agir de l’USCGC Sherman (ci-dessous). Ce bâtiment aux caractéristiques identiques à l’ex-USCGC Morgenthau (115 mètres de long), en service depuis 1968, a achevé sa dernière patrouille dans la région du détroit de Bering et doit être retiré du service actif. Après rénovation, il pourrait être cédé à la police maritime vietnamienne.
Le même jour, selon le même programme protocolaire que celui offert au général Shoigu, Jim Mattis a été successivement reçu par le secrétaire général du Parti communiste vietnamien Nguyễn Phú Trọng puis par le président Trần Đại Quang, clôturant de manière nominale cette visite officielle. 
A l’heure des bilans, l’on notera que :
  • autant la visite du ministre russe de la défense a été sobrement traitée par les médias locaux et par conséquence par les observateurs internationaux – qui n’ont observé que cette sobriété propre à deux partenaires anciens et observant le même culte du secret sur les questions de défense, autant la visite du secrétaire à la défense a fait l’objet d’une très importante communication – impulsée par la diplomatie américaine, à l’image d’un ambassadeur très médiatique et présent sur la plupart des photos publiées;
  • le programme du secrétaire à la défense a été très soigné. Pas de cérémonie du souvenir devant le mausolée d’Hồ Chí Minh – comme cela est imposé à certaines hautes autorités (tel le Français Le Drian en juin 2016) ; une visite d’exposition avec l’accent placé non plus sur les séquelles de la guerre – que les dirigeants américains combattent aux côtés des Vietnamiens sur les ex-champs de bataille (dépollution des zones contaminées par l’agent orange) – mais sur l’assistance internationale (et donc américaine) à la préparation des soldats vietnamiens identifiés pour servir en opérations onusiennes de maintien de la paix ; enfin, une visite très symbolique dans un haut-lieu de Hanoi, la pagode Trấn Quốc, havre de paix sur les bord du lac de l’Ouest.

A l’approche du Tết, à l’heure où les Vietnamiens dressent le bilan de l’année écoulée, l’on peut donc constater que l’année du Coq (Đinh Dậua été un millésime apaisé, avec le régime de Hanoi qui a réussi à rétablir un contact apaisé avec Pékin quoique toujours sensible aux enjeux de souveraineté en mer « de l’Est », à conserver des liens forts avec la Russie, pays-frère, tout en renforçant en souplesse le partenariat avec Washington. Un tour de maître de la diplomatie hanoienne – bien aidée en cela par une exceptionnelle communication américaine sur le registre de l’amitié entre les peuples américain et vietnamien. Les premières semaines de l’année du Chien (Mậu Tuất), marquées par l’arrivée de l’USS Carl Vinson à Đà Nẵng, permettront de tester si ce fragile équilibre, notamment entre Hanoi et Pékin, peut perdurer.

(*) Projet qui prend le relai de celui, en cours depuis cinq ans, visant à dépolluer la zone de l’aéroport de Đà Nẵng.











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