Sept mois après le décès du général d’armée Trần Đại Quang (21 septembre 2018, à 62 ans), un autre (ex-) président de la république socialiste du Viêt Nam s’est éteint. Le 22 avril 2019, le général d’armée Lê Đức Anh est décédé à Hanoi dans sa 99e année.
Né le 1er décembre 1920 dans le village de Lộc An (province de Thừa Thiên Huế, Centre), Lê Đức Anh a rejoint très jeune la résistance contre la colonisation française, en 1937 puis, un an plus tard, a adhéré au Parti communiste vietnamien (PCVN).
Après la révolution d’août 1945 puis la déclaration d’indépendance (2 septembre 1945), il a gravi les échelons de la hiérarchie militaire en combattant dans le sud du pays (chef d’état-major de la 7e puis de la 8e Région militaire (RM) et de la zone spéciale de Saigon, puis chef d’état-major du Commandement sud, enfin sous-chef opérations puis chef du bureau personnel de l’état-major général de l’armée populaire vietnamienne).
Durant le conflit contre les Américains, il a continué de marquer de son empreinte les opérations dans le Sud. Ainsi, de 1964 à 1974, il a été commandant en chef adjoint et chef d’état-major des forces de libération du sud, puis commandant en chef de la 9e RM.
En juin 1974, promu général de division (à 54 ans), il a été commandant en chef adjoint de la campagne Hồ Chí Minh, qui a conduit à la prise de Saigon par les troupes communistes. Une fois le pays réunifié sous la coupe du régime de Hanoi, le général Anh a conservé son assise dans le Sud (commandant en chef de la 9e puis de la 7e RM, avec une promotion au rang de général de corps d’armée en 1980).
Sa progression s’est poursuivie sur fond d’intervention vietnamienne contre le régime des Khmers Rouges. En 1981, il est nommé vice-ministre de la défense et commandant des forces d’intervention au Cambodge puis, après avoir été élu au bureau politique du PCVN (1982), est promu général d’armée (1984) et nommé chef d’état-major général des armées (1986). En février 1987, il accède au poste de ministre de la défense. Enfin, en septembre 1992, il est élu président de la république, poste qu’il conservera durant une mandature. En septembre 1997, il commence son retrait du devant de la scène politique en étant nommé conseiller du bureau politique du comité central du PCVN, jusqu’en avril 2001, lorsqu’il cesse officiellement toute fonction officielle, à 81 ans.
Le général Anh est l’une des dernières figures historiques des guerres d’indépendance du pays, qui a connu en quelque 50 années quatre conflits (contre les Français, les Américains, les Chinois et au Cambodge) qui ont modelé le Viêt Nam d’aujourd'hui. Chef militaire qui a connu la victoire, il a aussi dû faire face à la surprise, à l’image de l’attaque menée par la Chine le 14 mars 1988 contre un détachement de soldats vietnamiens effectuant des travaux sur le récif Johnson Sud (Gạc Ma pour les Vietnamiens), dans l’archipel des Spratley (*). Une véritable forfaiterie aux yeux du peuple vietnamien, qui continue, plus de trente ans plus tard, à donner lieu à des poussées d’humeur anti-chinoise à chaque anniversaire de ce tragique événement.
Pour autant, le général Anh, dans ses fonctions présidentielles, a été un artisan de la normalisation des relations avec Pékin, ainsi qu’avec les Etats-Unis (juillet 1995).
Place Ba Đình, Hanoi, 03 mai 2019. |
Un seul être (vous) manque... Dix jours après son décès, des funérailles nationales ont été organisées le 03 mai : drapeaux en berne, levée du corps et hommage national à Hanoi, puis transport du cercueil par avion à Hồ Chí Minh-Ville où le général Anh a été inhumé.
Hanoi: En tête de cortège, le Premier ministre Nguyễn Xuân Phúc et la présidente de l'assemblée nationale Nguyễn Thị Kim Ngân. |
Arrivée du corps à Hồ Chí Minh-Ville; Présence du général d'armée Phạm Văn Trà (83 ans, ministre de la défense de 1997 à 2006). |
Les nombreux témoignages d’hommage à l’ancien résistant et chef de l’Etat, qui a servi son pays et le PCVN durant plus de 80 années, ont fait la une des médias d’Etat. Le cortège des hauts dignitaires du pays, s’inclinant devant leur ancien camarade, a donné lieu à de sobres clichés, qui ont soudain fait apparaître au grand jour l’absence de l’homme que le pays et les observateurs se seraient attendus à voir en tête de cortège : Nguyễn Phú Trọng, secrétaire général du PCVN et président de la république. Une absence passée sous un silence assourdissant, qui replace au premier plan des interrogations l’état de santé du double numéro un du pays, jugé préoccupant depuis qu’il a été subitement hospitalisé lors d’un déplacement dans la province de Kiên Giang (Sud), le 14 avril. Les explications données le 25 avril par la porte-parole du gouvernement, Mme Lê Thị Thu Hằng, mettant en cause "une surcharge de travail et un changement soudain de conditions climatiques" n’auront convaincu personne. A 75 ans, le secrétaire général du PCVN, qui cumule ces fonctions avec celles de président de la république depuis le décès du général Quang, aurait dû faire acte de présence en tête des caciques du régime réunis autour du défunt général Anh.
Même si les autorités vietnamiennes peuvent continuer de fustiger des réseaux sociaux adeptes de la propagation de fausses nouvelles, l’ensemble du peuple vietnamien n’a pu que constater que le chef de l’Etat semble durablement empêché d’exercer pleinement ses fonctions. Coup du sort ou retour de l’Histoire, M. Trọng doit se souvenir qu’il affirmait, lorsqu’il avait été réélu secrétaire général du PCVN (27 janvier 2016), qu’il ambitionnait de n’exercer qu’un demi second mandat. Une barre qui est désormais franchie depuis près d’un an, et qui semble bien peser sur ses épaules, telle une palanche portant d’un côté la charge de numéro un du Parti, et de l’autre celle de chef de l’Etat.
Derrière les visages de marbre s’inclinant devant le corps du général Anh, nul doute que les esprits étaient bien tournés vers cette question de succession à la tête du PCVN et de l’Etat, si tant est que Nguyễn Phú Trọng venait à ne pas pouvoir reprendre ses fonctions. Une situation complexe, qui pourrait, à un an et demi du treizième congrès national du PCVN, résulter en la nomination d’intérimaires à ces fonctions capitales, dont les titulaires sont issus d’un méticuleux et impitoyable processus de sélection.
(*) Le détachement vietnamien était engagé dans des travaux visant à matérialiser l’appartenance de cet atoll au Viêt Nam (construction d’une borne). Intervenant depuis plusieurs bâtiments de guerre, les militaires chinois débarquèrent sur l’atoll mais furent repoussés par les soldats vietnamiens. Faisant usage de leurs armes de bord, les Chinois ont réduit la résistance vietnamienne (64 Vietnamiens tués et deux bâtiments de transport coulés).
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