Mission accomplie ! En l’espace de quatre mois, le déjà puissant général d’armée Tô Lâm, ministre de la sécurité publique, s’est installé à la tête du Viêt Nam, dans un siège sur mesure dans lequel il s’est opportunément arrogé le maroquin de chef de l’Etat après avoir évincé Võ Văn Thưởng (mai) puis été nommé à la tête du Parti communiste vietnamien (PCVN) après le décès de Nguyễn Phú Trọng (juillet). Doublement doté de ces deux sceptres de pouvoir, dans l’attente que l’assemblée nationale élise, probablement en octobre, un nouveau président de la république, le général Lâm a mis les bouchées doubles durant près de trois semaines pour sillonner la planète de la diplomatie : Etats-Unis du 19 au 25/09 (avec réception par le président Biden et prise de parole à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies), puis une succession de « visites d’Etat » à Cuba (25-27/09), en Mongolie (29-30/09), en Irlande (01-03/10, une première depuis l’établissement des relations diplomatiques) et, dans la foulée du 19e sommet de la Francophonie à Villers-Côtterets (03-04/10), il a parachevé son long séjour en terre de France (mais aussi sur les pas d’Hồ Chí Minh jusque dans la Seine Maritime, à Sainte Adresse…) par une « visite d’Etat » (la première depuis celle du président Trần Đức Lương en octobre 2002).
A défaut de faire la une de l’actualité française, cet événement a, comme toutes les étapes du périple du n°1 vietnamien, été l’occasion pour les médias d’Etat de mettre en valeur la stature du général Lâm sur la scène internationale et l’engagement du régime de Hanoi pour la paix internationale (sans pour autant franchir le seuil de la critique contre l’agression russe en Ukraine ni se risquer à faire des vagues avec Pékin sur le sujet de la mer « de l’Est »).
L’on appréciera ainsi la façon dont la déclaration conjointe publiée par l’Elysée (07/10) aura été ciselée, avec l’annonce de l’élévation de la relation bilatérale au niveau d’un « Partenariat stratégique global » mais aussi des termes qui « sonnent doux » aux oreilles exigeantes du régime de Hanoi, tels que la reconnaissance du rôle suprême du PCVN (« Les deux parties s’engagent à maintenir les échanges et contacts […] entre les autorités françaises d’une part et le Parti communiste, le gouvernement, l’Assemblée nationale et les autorités locales vietnamiens »). Alors que le Président Macron a de nouveau et logiquement fermement condamné lors de la conférence de presse conjointe l’agression russe en Ukraine, le communiqué officiel fait une place belle à la position de Hanoi : « Les deux parties soulignent l’importance d’aboutir à une paix globale, juste et durable en Ukraine, dans le respect du droit international, en particulier des principes fondamentaux tels que définis dans la Charte des Nations Unies ». En cette année où un progrès historique a été effectué sur le chemin escarpé de la Mémoire partagée (participation d’un ministre français des armées, pour la première fois, aux cérémonies commémoratives de la fin de la bataille de Điện Biên Phủ le 7 mai dernier), une déclaration à l’avantage du pays partenaire ne peut pas faire de mal à la relation bilatérale.
Reste désormais à joindre les actes à la déclaration d’intention, même si cette dynamique requerra visiblement un temps long, et en tout cas perçu culturellement différemment par les deux partenaires. L’ambition décrite dans le volet défense (« donner une nouvelle impulsion à la coopération dans le domaine de l’industrie de défense en étudiant, en initiant et en mettant en œuvre des projets structurants ») est à cet égard révélatrice de ce temps (très) long qui sépare l’étude d’un projet « structurant » de sa concrétisation. Gageons que « les ministres des Affaires étrangères des deux pays […] chargés, en lien avec les administrations compétentes, d’établir dans les meilleurs délais un plan d’action destiné à concrétiser les objectifs susmentionnés » devront d’abord comprendre ce que revêt à Hanoi comme à Paris la notion de « meilleurs délais »…