Il est des tempêtes qui
surviennent dans un ciel (en apparence) serein. En ce début d’été, propice aux fortes
températures sous ces latitudes, la tension vient subitement de croître entre
Hanoi et Pékin. Sans surprise, l’élément déclencheur est à nouveau l’hypersensibilité
des nationalismes à propos de la souveraineté en mer de Chine méridionale.
Oubliée la récente escale d’un patrouilleur de la police maritime vietnamienne à Hainan (09-13 mai), disparu le souvenir de l’escale d’un task group chinois à Hồ Chí Minh-Ville (06-09 mai), et retour à une
situation proche – quoique moins dégradée à ce jour – de celle qui avait secoué
les relations bilatérales à l’été 2014, avec à nouveau l’irruption de la
plateforme pétrolière chinoise HD-981 dans
une zone revendiquée par les deux pays, près de l’archipel des Paracel.
Le 21 juin 2017, le général d’armée
Fan Changlong, vice-président de la commission militaire centrale du Parti
communiste chinois, a brutalement quitté – avec l’ensemble de sa délégation - les
travaux de la quatrième rencontre « d’amitié » sino-vietnamienne, qui
se tenait du 20 au 22 juin de part et d’autre de la frontière terrestre, dans les
provinces vietnamienne de Lai Châu et chinoise du Yunnan.
Comme pour tout orage, sa visite
avait pourtant démarré sous des augures favorables, comme l’atteste le
protocole qui a entouré son arrivée à Hanoi, avec des entretiens avec les plus
hauts responsables du Parti communiste et du gouvernement.
18 juin 2017, poignée de main avec Nguyễn Phú Trọng, secrétaire général du Parti communiste vietnamien |
Accueil par
le président Trần Đại Quang
|
Entretien avec le Premier ministre Nguyễn Xuân Phúc |
Réception par le général d'armée Ngô Xuân Lịch |
En particulier, un accord de coopération dans la formation entre les deux ministères de la défense a été signé par les deux généraux, au terme de discussions sur les modalités d’application de la Déclaration
sur la vision commune de la coopération dans la défense d’ici 2025, signée en
février 2017.
Force est de constater que derrière des « impératifs
de travail », comme les organes de communication chinois l’ont sobrement
cité, pour justifier le départ précipité du général Fan Changlong, ce sérieux incident diplomatique a des causes plus profondes, au premier
plan desquelles l’on retrouve les activités de forage – tant vietnamiennes que
chinoises – dans les eaux revendiquées par les deux pays en mer de Chine
méridionale.
Au cœur des irritants pour Hanoi
figure une nouvelle intrusion de la plateforme de forage pétrolier HD-981 dans les eaux revendiquées par le
Viêt Nam, au nord-est de l’archipel des Paracel.
Le 16 juin, le département chinois
des affaires maritimes a annoncé que cette plateforme allait opérer jusqu’au 15
septembre prochain sur une position située à 74 km au sud de Hainan
(coordonnées : 17°09′07″.5 Nord ; 110°02′09″.7 Est), une zone dans laquelle
elle avait déjà foré en avril 2016.
Cette plateforme gigantesque, qui a par
définition besoin de stabilité pour ses activités, opère sous
« escorte » d’un important réseau de navires (pêcheurs, bâtiments de
surveillance des pêches, gardes-côtes, voire bâtiments militaires), qui
densifie la présence chinoise dans des eaux contestées et dans lesquelles
opèrent des pêcheurs vietnamiens. Comme à l’été 2014, plusieurs bateaux de
pêche vietnamiens ont visiblement été victimes d’agressions délibérées.
En conséquence, l’événement a
rapidement ravivé le sentiment anti-chinois, toujours d’autant plus vif au sein
de la population que celle-ci est régulièrement nourrie de propos
nationalistes, dont le régime tire une partie de sa légitimité, et que le
souvenir des événements de l’été 2014 est toujours dans les mémoires. Des
manifestations ont ainsi rapidement éclaté à Hồ Chí Minh-Ville (voir ci-dessous), sans pour
autant atteindre l’ampleur à laquelle l’on avait assisté en 2014. L’on y verra
une marque de retenue des autorités locales, qui n’ont pas voulu laisser une
nouvelle spirale de violences anti-chinoises se développer.
Pour sa part, Pékin s’accroche à
ce qu’il considère comme son bon – quoique unilatéral – droit de forer dans la « zone
en neuf traits » – qui délimite de manière unilatérale et sans fondement
relatif au droit de la mer les revendications chinoises en mer de Chine méridionale – et pointe du doigt le début de travaux de forage mené par le Viêt
Nam (en partenariat avec des compagnies occidentales) dans deux sites qu’il
revendique comme étant dans les eaux chinoises.
En janvier 2017, le Viêt Nam a
signé un accord avec la compagnie américaine Exxon Mobil pour développer un projet d’exploitation d’un gisement
gazier proche des Paracel (le block 118), donc dans une zone considérée par
Pékin comme à l’intérieur de la « zone en neuf traits ». De même,
dans le sud, d’autres projets existent (avec la compagnie espagnole Repsol, mais aussi avec la compagnie
indienne Videsh Ltd). Il en est ainsi
du block 136, situé dans les eaux considérées par Pékin comme chinoises, tout
en étant dans la zone économique exclusive vietnamienne.
En tout état de cause, ce pic de
tension survient dans un contexte sensible, marqué notamment par :
- une forte activité des grandes marines
internationales dans les eaux de la mer « de l’Est » (déploiement
américains, escales aux Viêt Nam – déjà 13 cette année, dont plus de la moitié
à Cam Ranh ; longue présence de la mission Pacific Partnership 2017) ;
- une récente phase diplomatique positive entre Hanoi de Washington, avec la réception du premier ministre Nguyễn Xuân Phúc à la Maison Blanche (29 mai), mais aussi la confirmation d’une excellente dynamique des relations entre Hanoi et Tokyo ;
- une récente phase diplomatique positive entre Hanoi de Washington, avec la réception du premier ministre Nguyễn Xuân Phúc à la Maison Blanche (29 mai), mais aussi la confirmation d’une excellente dynamique des relations entre Hanoi et Tokyo ;
-
les préparatifs du 19e congrès du
Parti communiste chinois, à l’automne.
Les ingrédients semblent donc réunis
pour une poursuite des tensions, surtout sur mer entre pêcheurs vietnamiens et
ces différents maillages concentriques disposés autour de la plateforme HD-981,
voire à proximité des sites de forage menés dans les blocks vietnamiens. Alors
que la saison des typhons débute, l’on ne peut pour autant exclure qu’une
tempête tropicale ne vienne opportunément doucher les esprits vindicatifs,
contraignant pêcheurs et navires d’escorte à rejoindre leurs ports d’attache.
Pour autant, les dirigeants vietnamiens semblent à nouveau devoir être
contraints de négocier un apaisement de la situation, afin que le sommet de l’APEC,
qui sera hébergé à Đà Nẵng du 05 au 11 novembre prochains, ne voit pas la
nation hôte et son principal voisin s’observer en tigres de faïence. Une
situation qui ne sera à nouveau pas appréciée de la population, mais celle-ci
devra se ranger à la réalité économique (très forte dépendance du Viêt Nam
vis-à-vis de la Chine).
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