Très rares sont ceux qui bénéficient d’un traitement « hors normes », hormis les anciens ministres de la défense, à l’image du général d’armée Phùng Quang Thanh (décédé le 11 septembre 2021, cinq ans après avoir quitté l’institution militaire). Sur ce tableau des départs de personnalités emblématiques de l’APVN de ce début de siècle, un homme occupe désormais une place exceptionnelle, à l’image de son parcours d’exception : le général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, dont le décès à Hà Nội a été annoncé le 14 septembre 2023 (trois jours après la fin de la visite du président américain Joe Biden), et dont les funérailles ont été entourés du protocole réservé aux plus hauts dignitaires militaires. Des honneurs qui ancrent pour la postérité l’œuvre de cet homme, pourtant réputé simple et simple d’abord, et de sa famille dans la mémoire collective nationale.
Né le 15 mai 1957 dans la province de Thưa Thiên Huế (Centre), le général Vịnh est le fils du général d’armée Nguyễn Chí Thanh (de son vrai nom Nguyễn Vịnh), l’un des héros des guerres d’indépendance aux côtés du général Võ Nguyên Giáp, puis parfois considéré comme le rival de ce dernier.
Pour autant, pour certains vétérans, il serait décédé à Hà Nội lors d’une attaque cérébrale. L’incertitude sur les causes exactes de sa mort a servi à créer une légende sur ce personnage emblématique de l’APVN : son nom est gravé dans la philatélie nationale depuis fin 2013 et un musée consacré à sa carrière a été inauguré en juin 2023 année à Hà Nội (au 81, Bắc Từ Liêm - photo ci-contre). Nul doute qu’il s’enrichira rapidement d’une salle dédiée à l’œuvre de son fils.
Bénéficiant de l’aura de son père et du cercle relationnel de ce dernier juste dans les sphères les plus fermées et puissantes du Parti communiste, Nguyễn Chí Vịnh a bâti sa carrière au sein du puissant Département général du renseignement militaire (Tổng cục 2) au début des années 1980 dans un contexte d’intervention de l’APVN au Cambodge. Il restera plus de 25 ans dans ce service au sein duquel il progressera notamment grâce à la protection de son beau-père, le général de division Đặng Vũ Chính, auquel il succèdera à la tête de ce corps en 2001 avant d’être promu général en 2002, à 44 ans (plus jeune général alors en service dans l’APVN). Il occupera ce poste jusqu’en 2011, dont les deux dernières années en cumulant la fonction de vice-ministre de la défense chargé des relations internationales, un volet qui, dans beaucoup d’armées, va de pair avec l’écosystème renseignement. C’est donc tout naturellement que la hiérarchie sommitale de l’APVN et du PCVN vont l’adouber lors du 11e Congrès national du PCVN (janvier 2011) en le confirmant dans sa position de vice-ministre de la défense, chargé des relations internationales et en l’intégrant au sein du Comité central du Parti. Des fonctions qu’il conservera durant dix années jusqu’en 2021, année de son admission à la retraite.
18 octobre 2017, avec le sénateur John Mc Cain, à Washington |
Homme de l’ouverture nécessaire et maîtrisée, il a en outre été celui qui a fait faire ses premiers pas aux militaires vietnamiens en opérations onusiennes de maintien de la paix, avec comme chef de chantier le colonel supérieur (puis général de brigade) Hoàng Kim Phụng qui a permis la sortie de terre puis l’essort du Centre vietnamien de préparation aux OMP (désormais Département OMP). Une véritable aventure qui se concrétise aujourd’hui par la présence de militaires vietnamiens dans les missions onusiennes au Soudan du sud, en république Centrafricaine et en Abiyé.
Février 2019, inspection du Rôle 2 vietnamien déployé à Bentiu (Soudan du Sud). |
Sortant du confort consistant à avoir un tel homme orchestre solidement installé à la manœuvre des RIM – et avec une mémoire des dossiers personnels de nombreuses hautes autorités de par son quart de siècle dans le monde du renseignement – l’APVN a été confrontée au choc de son départ (pourtant largement anticipable). Ne disposant d’aucun officier général présentant autant de qualités, le ministère de la défense s’est rabattu sur le commandant en chef des garde-frontières (général Hoàng Xuân Chiến), qui a dû relever le flambeau. Une tâche d’autant plus difficile que les cinq années de mandat du général d’armée Ngô Xuân Lịch à la tête de ce ministère (2016-2021) ont été marquées par un repli imposé par cet ex-commissaire en chef de l’APVN sur son environnement régional immédiat et ses partenaires historiques (Russie, Chine). Une situation qui convenait bien à un ex-garde-frontières mais qui s’est avérée bien plus ardue lorsqu’il s’est agi pour le général Chiến de se glisser dans le costume de son illustre prédécesseur. Il lui a en effet fallu une période de passation de consignes de cinq mois avant d’être « lâché en solo » (nommé vice-ministre de la défense le 14 juillet 2020, Hoàng Xuân Chiến été en doublure de Nguyễn Chí Vịnh jusqu’en décembre, clap de fin de la carrière de ce dernier).
Quelle ne fut donc pas la surprise (et le plaisir) des observateurs de voir que les médias (forcément aux ordres du régime tel le Quân đội Nhân dân mais dont certains, à l’image de Tuổi Trẻ, qui avait visiblement « ses entrées » auprès du général Vịnh, ont une approche plus nuancée de certains sujets et touchent un lectorat plus large que les médias du Parti) ont continué de tisser un lien régulier auprès du général Vịnh, qui les recevait à son domicile, ce qui pouvait passer comme un camouflet à l’égard de son successeur, et ce d’autant plus que le cœur de ces interviews portait sur des sujets d’actualité très sensibles: problématique de la mer de Chine méridionale mais surtout l’agression russe en Ukraine, de surcroit avec le régime de Hà Nội donnant à l’opinion internationale tous les signes de complaisance voire de soutien à Moscou (une position qui perdure, à l’image des visites croisées d’autorités à Moscou/Saint Petersburg et à Hà Nội). Sans jamais remettre en cause les lignes rouges de la politique internationale de Hà Nội (et en particulier les « quatre non » / « ba không »), il offrait des positions marquées par un souci d’équilibre et moins abruptes que les éléments de langage qui émanent du porte-parolat du ministère des affaires étrangères, et en tout état de cause plus étayées que le mutisme des autorités militaires, forcément petit doigt sur la couture – mais quand bien même gênées de voir le partenariat que l’APVN nourrissait avec l’Ukraine mis sous l’éteignoir.
L’on comprend ainsi l’émotion qui a transparu dans la plume des journalistes qui l’avaient cotoyé à l’annonce du décès du général Vịnh. Ces derniers s’y étaient indéniablement préparés, comme en témoignaient les rares apparitions du général qui ne craignait pas de se montrer marqué par le combat contre le cancer. Les observateurs de l’actualité de défense vietnamienne n’auront pas manqué de faire un parallèle entre les dernières images de Nguyễn Chí Vịnh et du général Phùng Quang Thanh à l’aune de leur vie, affaiblis par les marques de la chimiothérapie mais portant toujours cette seconde peau qu’a été leur uniforme.
A chef exceptionnel, funérailles militaires exceptionnelles. A l’image du général Thanh, Nguyễn Chí Vịnh a été honoré par tout l’appareil d’Etat, président Võ Văn Thưởng en tête – mais en l’absence du secrétaire général du PCVN Nguyễn Phú Trọng (sur la santé duquel des interrogations pourraient renaître), du premier ministre Phạm Minh Chính (qui n’a pu se soustraire à son obligation de participer à l’assemblée générale des Nations unies à New York) et - mauvais fruit des agendas diplomatiques ou pied de nez de l’Histoire - du général Hoàng Xuân Chiến, son successeur, en déplacement à Washington puis Ottawa. Une absence circonstancielle qui confirmera chez certains observateurs que l’on ne peut remplacer un homme tel que le général Vịnh.
Certainement la personnalité la plus régulièrement citée par ce blog pour son action en faveur de l’insertion de l’APVN sur la scène des relations internationales militaires, son départ vers sa dernière demeure devant tous ses pairs recueillis autour de sa famille augure plus un nouvel élan : celui de la légende de Nguyễn Chí Vịnh, qui rejoint dans la mort la Gloire de son père. Place maintenant au travail des faiseurs de héros, historiens ou chantres du PCVN, qui vont indéniablement faire (re)vivre dans les prochaines années la mémoire de cet homme au sein de la mémoire collective vietnamienne.
Pour accéder à une vidéo (en vietnamien) retraçant le parcours de Nguyễn Chí Vịnh, cliquez ici.
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