Le 09 avril 2021, M. Bertrand Lortholary, directeur Asie-Océanie du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères (et ambassadeur de France à Hà Nội d’août 2016 à l’été 2019), a remis à l’ambassadeur du Viêt Nam en France, M. Nguyễn Thiệp, la cravate de commandeur de l’Ordre national de la Légion d’honneur.
L’attribution de cette décoration prestigieuse directement au rang de commandeur au représentant du régime de Hà Nội en France, a de quoi susciter l’interrogation. Non sur l’Ordre en tant que tel, la diplomatie française faisant souvent fi de l’Histoire - contrairement à la diplomatie vietnamienne - et de la nature du régime représenté par l’ambassadeur Thiệp, mais sur le rang dans la hiérarchie de la décoration.
L’on rappellera que M. Lortholary avait été honoré après son retour en France par l’attribution de la médaille de l’amitié de l’Etat vietnamien. Elle lui avait justement été remise par l'ambassadeur Thiệp, lors de la fête nationale vietnamienne. Une décoration importante certes mais taillée sur mesure pour saluer les hauts responsables (essentiellement les ambassadeurs, pour ce qui relève de la diplomatie) ayant animé la relation bilatérale. L’ambassadeur des Etats-Unis Daniel Kritenbrink, qui termine son mandat, l’a au demeurant reçue ce même 09 avril, des mains du vice-ministre des affaires étrangères Nguyễn Quốc Dũng, au nom du président Nguyễn Xuân Phúc (et non plusieurs mois après qu’il aura quitté le pays. Un fossé existe entre cette distinction et le rang de commandeur d’un Ordre aussi prestigieux que la Légion d'honneur, qui reconnaît des services éminents rendus à la nation française. Sans nier la bonne dynamique de la relation franco-vietnamienne, des observateurs pourraient se demander si ce geste n’est pas un pari sur et pour le futur de la relation bilatérale. Avec l’Asie qui cristallise de plus en plus les ambitions des nations occidentales (et toujours de la Chine), qui se traduisent par une recrudescence actuelle de la publication de stratégies indopacifiques - notamment par la France – tous les atouts peuvent peser pour gagner les faveurs des dirigeants vietnamiens. Et une décoration peut être une goutte d’huile facile à verser dans le grand jeu de la compétition internationale, surtout à un moment où le PCVN et les hautes instances de l’Etat vietnamien viennent de renouveler leurs plus hauts dirigeants pour cinq ans.
La non médiatisation de cette cérémonie, tout au moins du côté français, pourrait aussi avoir visé à ne pas froisser le monde toujours légitimement sensible des anciens combattants, en cette période qui coïncide avec le souvenir toujours vivant du milieu de la bataille de Điện Biên Phủ, il y a 67 ans.
L’avenir dira si cette diplomatie de la décoration portera des fruits. En tout état de cause, reconnaître à un tel niveau les services de l’ambassadeur Thiệp donne le "la" de la reconnaissance dont devrait bénéficier son successeur. En plaçant la barre aussi haut, la diplomatie française pourrait se lier les mains : il lui sera en effet difficile de ne pas reconnaître les services que le successeur de l’ambassadeur Thiệp rendra durant son mandat, au risque de lui faire perdre la face, ce qui n’est pas acceptable. Un pari osé, qui profite en tout état de cause actuellement à la diplomatie vietnamienne, si l’on en juge la forte médiatisation dans la presse vietnamienne de cette remise de cravate. Une cravate qui, espérons-le, n’étranglera pas les ambitions françaises sur tous les champs de la relation bilatérale.
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