Alors même que le ministre russe de la défense Serguei Shoigu achevait sa courte visite à Hanoi, le général d’armée (en retraite) James Mattis, Secrétaire à la défense américain, a
lui aussi poursuivi une tournée en Asie du sud-est par une étape à Hanoi. Arrivé le 23 janvier 2018 en
fin de journée depuis l’Indonésie, où il avait été reçu par le président Joko
Widodo et le ministre de la défense Ryamizard Ryacudu (22-23 janvier), il a été
accueilli à Hanoi par un ambassadeur Daniel Kritenbrink parfaitement rompu à la
réception de très hautes autorités depuis sa prise de fonctions, début novembre
2017.
Rompant quelque peu avec le
protocole, le général Mattis a entamé sa visite le 24 janvier sous un angle purement
national, selon un programme concocté par l’ambassade. L’on y verra en effet la
volonté des autorités vietnamiennes de ne pas faire se succéder trop vite dans
les mêmes salons les numéros un de la défense russe et américaine, ce qui
aurait pu être source de vexation, notamment à Moscou, premier partenaire
militaire de Hanoi.
Dans le contexte du
cinquantenaire de l’offensive du Tết Mậu Thân 1968, qui donne lieu à une
abondante couverture dans les médias nationaux, le général Mattis s’est fait
présenter un point de situation des travaux de la Defense POW/MIA Accounting Agency (DPAA), l’organe national de
recherche des corps des soldats américains prisonniers et disparus au combat.
Le lendemain, 25 janvier, il a
été accueilli officiellement par son homologue, le général d’armée Ngô Xuân
Lịch, qui l’a accompagné lors de la visite d’une exposition consacrée à la
lutte contre les conséquences de la guerre et les opérations onusiennes de
maintien de la paix. Une visite dépolluée de tout ressentiment à l’égard du passé,
à l’image de l’esprit qui sous-tend les relations entre adversaires d’hier.
Ainsi, depuis Jakarta, le secrétaire à la défense avait annoncé dans une
conférence de presse qu’« il ne pense pas beaucoup au passé » et que,
lorsqu’il avait accueilli le général Lịch à Washington (08 août 2017), les deux
hommes s’étaient présentés ensemble en dirigeants résolument tournés vers le
futur - ce qui ne signifie pas faire table rase de l’Histoire. Washington
entend ainsi bien assumer des responsabilités en matière de lutte contre les
conséquences de la guerre, en s’investissant notamment dans la dépollution de
régions contaminées par les défoliants déversés durant la guerre. A cet égard, cette
visite est intervenue au lendemain de la signature (23 janvier) d’un memorandum of understanding (MoU) sur le
traitement des zones contaminées à la dioxine de l’aéroport de Biên Hoà (province
de Đồng Nai, Sud) entre l’Agence américaine de développement (USAID) et le
département des sciences militaires du ministère vietnamien de la défense (*),
en présence de l’ambassadeur Kritenbrink et du général de corps d’armée Nguyễn
Chí Vịnh, vice-ministre de la défense, chargé des relations extérieures.
Passés les honneurs militaires, la
séance de travail organisée au ministère de la défense a vu une participation
vietnamienne plus importante que celle aperçue lors de la visite du général
Shoigu. Alors que le général de corps d’armée Phan Văn Giang, chef d’état-major
général des armées, était à nouveau absent, laissant le ministre de la défense s’affirmer
comme l’unique chef de file de l’armée populaire, les commandants en chef des
principales composantes hors armée de terre (marine, armée de l’air et défense
sol-air, police maritime et gardes-frontières) et le directeur du Département général
numéro 2 (renseignement militaire) étaient au premier plan de la table de
discussion.
Les principaux axes des
entretiens ont porté sur la situation régionale et notamment la liberté de
navigation en mer de Chine méridionale, à laquelle Washington se montre attaché
– notamment face à l’affirmation de puissance chinoise dans des eaux enjeux de
nationalismes très sensibles. Outre la conduite régulière de patrouilles navales
visant à affirmer cette liberté de navigation (FONOPS – Freedom of navigation operations), la délégation américaine a
confirmé qu’un porte-avion américain fera prochainement escale au Viêt Nam.
L’USS Carl Vinson devrait ainsi faire
relâche, non dans la base internationale de Cam Ranh, mais à Đà Nẵng / Tiên Sa en
mars 2018. Ce symbole fort du retour d’un porte-avion américain dans un port
vietnamien pour la première fois depuis la fin de la guerre entre les deux pays
est cependant atténué par le fait que Cam Ranh est évité, ce qui évite de
donner tant à Pékin qu’à Moscou un signal sur un trop rapide rapprochement
entre Hanoi et Washington, et évite aux autorités de la 4e Région
maritime et de la base navale qui abrite les fleurons de la marine populaire (la
brigade 189 avec ses six Kilo 636, et
la brigade 162 avec désormais quatre frégates lance-missiles Gepard 3.9) de voir débarquer plusieurs
milliers de marins américains, autant d’yeux pourdresser un état des lieux
d’infrastructures très sensibles.
Enfin, toujours sur le plan
maritime mais sous l’angle de la composante police maritime, les Américains
pourraient livrer à l’horizon 2019 un second patrouilleur de gardes-côtes de classe
Hamilton. Après l’USCGC Morgenthau, qui a rejoint le 16
décembre 2017 l’ordre de bataille de la 3e région de police maritime
(Vũng Tàu, Sud) sous le numéro 8020,
il pourrait s’agir de l’USCGC Sherman (ci-dessous).
Ce bâtiment aux caractéristiques identiques à l’ex-USCGC Morgenthau (115 mètres de long), en service depuis 1968, a
achevé sa dernière patrouille dans la région du détroit de Bering et doit être
retiré du service actif. Après rénovation, il pourrait être cédé à la police
maritime vietnamienne.
Le même jour, selon le même programme protocolaire que
celui offert au général Shoigu, Jim Mattis a été successivement reçu par le
secrétaire général du Parti communiste vietnamien Nguyễn Phú Trọng puis par le
président Trần Đại Quang, clôturant de manière nominale cette visite
officielle.
A l’heure des bilans, l’on notera
que :
- autant la visite du ministre russe de la défense a été sobrement traitée par les médias locaux et par conséquence par les observateurs internationaux – qui n’ont observé que cette sobriété propre à deux partenaires anciens et observant le même culte du secret sur les questions de défense, autant la visite du secrétaire à la défense a fait l’objet d’une très importante communication – impulsée par la diplomatie américaine, à l’image d’un ambassadeur très médiatique et présent sur la plupart des photos publiées;
- le programme du secrétaire à la défense a été très soigné. Pas de cérémonie du souvenir devant le mausolée d’Hồ Chí Minh – comme cela est imposé à certaines hautes autorités (tel le Français Le Drian en juin 2016) ; une visite d’exposition avec l’accent placé non plus sur les séquelles de la guerre – que les dirigeants américains combattent aux côtés des Vietnamiens sur les ex-champs de bataille (dépollution des zones contaminées par l’agent orange) – mais sur l’assistance internationale (et donc américaine) à la préparation des soldats vietnamiens identifiés pour servir en opérations onusiennes de maintien de la paix ; enfin, une visite très symbolique dans un haut-lieu de Hanoi, la pagode Trấn Quốc, havre de paix sur les bord du lac de l’Ouest.
A l’approche du Tết, à l’heure où
les Vietnamiens dressent le bilan de l’année écoulée, l’on peut donc constater que l’année
du Coq (Đinh Dậu) a été un millésime apaisé, avec le régime de Hanoi qui a réussi à
rétablir un contact apaisé avec Pékin quoique toujours sensible aux enjeux de souveraineté
en mer « de l’Est », à conserver des liens forts avec la Russie,
pays-frère, tout en renforçant en souplesse le partenariat avec Washington. Un tour de maître de la diplomatie hanoienne – bien aidée en cela par une
exceptionnelle communication américaine sur le registre de l’amitié entre les
peuples américain et vietnamien. Les premières semaines de l’année du Chien (Mậu Tuất),
marquées par l’arrivée de l’USS Carl Vinson
à Đà Nẵng, permettront de tester si ce fragile équilibre, notamment entre Hanoi
et Pékin, peut perdurer.
(*) Projet qui prend le relai de
celui, en cours depuis cinq ans, visant à dépolluer la zone de l’aéroport
de Đà Nẵng.
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