vendredi 5 août 2016

Cyberattaque sur le Viêt Nam (29/07/2016)


Tom Clancy aurait apprécié, et conseillé à ses lecteurs de se (re)plonger dans son thriller Cybermenace (*) en cet été asiatique…

Dans l’après-midi du 29 juillet 2016, les aéroports internationaux de Hanoi Nội Bài, de Hô Chi Minh-Ville Tân Sơn Nhất (**), de Đà Nẵng et de Phú Quốc ont été victimes d’attaques de hackers, qui ont paralysé les opérations d’enregistrement numérique des passagers, les activités de la compagnie Vietnam Airlines et une centaine de vols. Sur les écrans des aéroports, les informations sur les vols ont été effacées et remplacées par des condamnations des critiques vietnamiennes et philippines contre la souveraineté revendiquée par Pékin sur la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale.

Dans le même temps, les sites Internet de l’université nationale d’économie et de la fédération vietnamienne de football ont aussi été inhibés par une attaque de même type.
Ces attaques portent la marque d’un groupe de hackers chinois apparu en 2008 sous le nom de « 1937CN ». En mai 2014, lors de la crise entre Hanoi et Pékin provoquée par l’intrusion prolongée d’une plateforme de forage pétrolier chinoise (HD-981) dans les eaux revendiquées par le Viêt Nam, ce groupe avait déjà perturbé les activités de quelque deux cents sites numériques vietnamiens. Le 1er août, le groupe a publié un communiqué sur Facebook par lequel il « ne revendique ni ne rejette la responsabilité » de l’attaque contre le site de Vietnam Airlines. Pour autant, il est difficile de ne pas voir dans ces dysfonctionnements déclenchés à distance la main de Pékin. L’actualité de juillet, à nouveau centrée sur les différends en mer de Chine méridionale, place en effet Pékin dans une posture de grande irritation, donnant lieu à des ripostes, pressions, intimidations, ruades diplomatiques, dont Pékin a le secret.

Avis de tempête lié à la mer « de l’Est ». Déclencheur de cette crise estivale, le jugement rendu par le Tribunal permanent d’arbitrage (TPA - La Haye, Pays-Bas) le 12 juillet, qui a donné raison à une plainte déposée trois ans plus tôt par les Philippines contre la Chine, estimant que Pékin n’avait aucun droit historique en mer de Chine méridionale et avait violé les « droits souverains » des Philippines. Une décision aussitôt saluée par Hanoi, qui s’est empressé de rappeler son attachement à ses propres revendications « historiques » sur les archipels des Paracel et des Spratley, mais une décision condamnée catégoriquement par Pékin, qui dénie toute compétence au TPA pour se prononcer sur cette question – et redoute que le rendu du tribunal ne fasse tache d’huile.

Illustrant la très grande sensibilité de ces questions de souveraineté territoriale – au demeurant l’un des points sur lesquels les autorités vietnamiennes communiquent le plus à l’attention de leur propre opinion publique, dont la mémoire continue d’être baignée par le souvenir des sacrifices consentis durant trente années de guerre d’indépendance – un incident lors du contrôle d’un passeport d’une ressortissante chinoise, le 23 juillet à l’aéroport de Hô Chi Minh-Ville Tân Sơn Nhất, a rallumé les braises d’un nationalisme chatouilleux entre les deux voisins. Depuis 2012, la Chine produit de nouveaux passeports sur lesquels certaines pages font apparaître les eaux de la mer de Chine méridionales comprises dans les neufs traits correspondant aux revendications de Pékin comme étant partie intégrante du territoire chinois. Refusant de reconnaître cette situation, les douanes vietnamiennes avaient commencé à octroyer les visas aux Chinois non sur le passeport, mais sur un document distinct puis agrafé au passeport. Or, ce 23 juillet, un douanier s’est permis de prendre sa plume pour une épée pour égratigner le passeport de cette ressortissante, qui s’en aussitôt est émue auprès de son consulat, créant un mini-incident diplomatique.
Il n’est ainsi pas surprenant que les hackers chinois aient utilisé les mêmes mots à l’encontre du Viêt Nam (et des Philippines, toujours ciblées pour le succès de leur plainte relative à leurs eaux territoriales).
Ces tensions, qui se développent sur un nationalisme profond, devraient perdurer et avoir des contrecoups au niveau local, la population restant très sensible à ces questions qui dépassent la simple guerre de sémantique. Ainsi, l’apparition d’une « China Beach » sur un plan de Đà Nẵng a donné lieu à une levée de boucliers de la population, parallèlement à l’ouverture d’un consulat chinois dans la grande ville du Centre.
Comme souvent, la difficulté pour les dirigeants de l’Etat et du Parti sera de montrer tout leur soutien à des populations qu’ils éduquent à se montrer absolument fidèle à leur Patrie (donc à leur souveraineté nationale) - et au Parti – et de ne pas se dresser face à une Chine dont l’économie vietnamienne est si dépendante. Un sacré dilemme, dont Pékin n’a pas fini d’exploiter toutes les subtilités et faiblesses.
(*) Titre original : Threat Vector (2012).
(**) L’aéroport de Tân Sơn Nhất a été touché vers 13h45, celui de Nội Bài à 16 heures.



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