Du 10 au 13 février 2020, le ministère vietnamien de la défense a procédé à l’unique phase de conscription annuelle. Intervenant comme chaque année après les festivités du Tết, elles-même précédées du retour à la vie civile du contingent incorporé deux ans auparavant (depuis que le pays est revenu à un service militaire de deux ans, entré en vigueur le 01 janvier 2016), cette opération d’ampleur nationale a mis en avant l’important maillage territorial de l’armée, et notamment les commandements militaires des provinces, districts, et communes, ainsi que les sept régions militaires.
Cette étape clé de la vie de ces communautés territoriales, mais aussi pour les unités qui accueillent ces jeunes, a été très largement médiatisée, comme de rigueur dans ce pays dont le régime est passé maître en matière de campagne d’émulation : durant une semaine, une multitude de reportages, à tous niveaux (local jusque national), ont exalté dans la plus pure tradition patriotique cette véritable transfusion de sang neuf depuis le peuple jusqu’au sein de l’armée « populaire » vietnamienne - mais aussi vers des unités du ministère de la sécurité publique.
Trà Vinh, 13 février 2020. |
« Enthousiasme, élan national, ébullition dans chaque famille, district ou commune, fierté des jeunes recrues partant remplir leur mission de défense de la patrie », les propos élogieux n’ont pas manqué pour saluer la réussite de ces quatre journées de mobilisation. Comme de coutume, ces mots ont été accompagnés de fleurs, remises aux conscrits lors de leur passage de la symbolique « porte de gloire » (cổng vinh quang) par les autorités locales et parfois par les plus hautes autorités militaires du pays, qui avaient quitté leurs états-majors (*) pour aller au contact de ces jeunes forces vives de la nation dont beaucoup quittaient leur famille pour la première fois et pour longtemps (deux ans). Ponctuellement, les « heureux élus » se sont vu remettre un pécule pouvant atteindre 3 à 5 millions de đồng (150 €).
Revers de la médaille, ces cérémonies ont certes réveillé tôt des centaines de localités dans l’ensemble du pays mais se sont toutes terminées très vite, comme si chaque organisateur, lui aussi sensible à ces messages d’émulation, voulait battre des records de vitesse : moins d’une demie-heure n’offre guère de temps pour de réelles festivités ni pour des adieux sereins, et les bus de l’armée n’attendent pas. Il est cependant aussi vrai que, dans bien des localités, les mesures de précaution face au risque de pandémie de coronavirus ont fonctionné à plein régime et n’ont pas encouragé les organisateurs à faire durer les effusions, surtout avec des participants arborant un masque sur le visage ! Les communes se sont donc rapidement vidées de cette jeunesse appelée, voire résignée, à faire son devoir de service des armes de la nation. En effet, cet « élan national » ne s’est pas caractérisé par une mobilisation de millions de jeunes, mais par une ponction locale, bien calibrée et préparée par les autorités de contact. L’immense vivier de candidats potentiels (que l’on peut estimer à près de 20 millions de jeunes hommes et femmes) produit un contingent très condensé, avec certainement de profondes inégalités, comme on peut en déduire en comparant les bilans du recrutement dans les deux grandes métropoles que sont Hà Nội et Hồ Chí Minh-Ville) et celui des autres provinces (**).
Le GCA Phan Văn Giang à Bạc Liêu (13 février 2020)
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Manuel d'instruction de défense et de sécurité, classe de première. |
Certes, l’on comprend aisément que les jeunes citadins sont plus à même de se sentir concernées par la seconde « mission sacrée » qui incombe à tout Vietnamien, à savoir contribuer à l’édification de la Patrie, laissant sans regret aux jeunes ruraux le soin d’être retenus pour participer à la défense de cette Patrie, durant 24 mois. Le système scolaire vietnamien ayant le grand mérite d’inculquer dès l’école primaire et surtout au collège et au lycée de solides connaissances sur le monde militaire (au travers notamment des programmes d’éducation de défense, incontournables au lycée et en université), c’est sans réelle surprise la masse des jeunes ayant quitté le système scolaire très tôt, essentiellement par manque de ressources et par nécessité familiale, qui constitue ce creuset dans lequel l’armée puise des forces pour compléter ses rangs déjà en bonne partie professionnalisés. L’on est ainsi bien dans un système largement inégalitaire, mais comment pourrait-il en être autrement, sur le simple plan comptable, avec une armée d’environ 350 000 hommes (et femmes) pour un pays de plus de 96 millions d’habitants. S’il est évident que l’armée ne peut s’offrir le luxe (si tant est que c’en soit un) d’incorporer d’immenses bataillons de recrues chaque année, les méthodes pour passer au travers du crible sont plus questionnables (corruption, influence, mais aussi cursus scolaire,…). « Selon que vous serez riche ou pauvre, vous échapperez à la conscription ou quitterez vos familles pour deux ans ! », un tel slogan entacherait d’une marque indélébile les « portes de gloire » dressées sur les places communales…
Désormais intégrés dans leurs unités d’accueil, ces jeunes recrues vont y apprendre les rudiments de la rude vie militaire. Si la grande majorité d’entre eux sera cantonnée à des fonctions élémentaires, certains, volontaires ou sélectionnés pour leurs aptitudes techniques, serviront des systèmes d’arme sophistiqués, pour lesquels leurs deux ans passés sous les drapeaux seront précieux. C’est enfin parmi eux que les cadres de l’armée pourront identifier des profils intéressants pour des carrières plus longues, tandis que les autres rejoindront, lors de leur retour à la vie civile, les structures des unités de réserve.
Combien de ces jeunes élèves effectueront leur service militaire dans une quinzaine d'années?... |
(*) Pour les observateurs avertis, cette période de conscription offre une occasion précieuse pour actualiser les connaissances sur la pyramide de commandement de l’armée vietnamienne.
(**) Le culte de la discrétion (voire du secret) qui entoure ces questions de ressources humaines se traduit par une grande difficulté pour évaluer le nombre de soldats effectivement recrutés et leur profil. Aucun bilan officiel global n’est divulgué sur cet appel sous les drapeaux. Le long travail mené pour dresser ces bilans conduit pour sa part La Rue des Soldats à conserver la discrétion sur ses chiffres.
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