Dans la plus grande discrétion
médiatique, une section d’officiers-élèves du 1er Bataillon de
l’Ecole spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr, accompagnée du colonel Claude
Minjoulat-Rey, directeur des formations d’élèves, a effectué un voyage
d’études, fin juin, au Viêt Nam. Point d’orgue de ce séjour, les
sous-lieutenants, se sont rendus à Điện Biên Phủ, où ils ont rendu hommage au
capitaine Yves Hervouët, leur parrain de promotion (*).
La vingtaine de jeunes officiers,
dont les deux Vietnamiens membres de la Promotion, ont participé le
24 juin à une
cérémonie dans l’emprise du petit monument aux morts français dressé près du
site de la bataille. Si le site
Facebook
des Ecoles de Coëtquidan fait état d’une cérémonie « marquée par l’amitié
franco-vietnamienne » - certainement en raison de cette présence des deux
élèves vietnamiens - force est de constater que cette « amitié »
s’est manifestée par un mutisme total de la part des médias vietnamiens,
pourtant généralement prompts à mettre en valeur les visites de délégations
d’écoles militaires étrangères, y
compris celles en provenance des Etats-Unis.
L’heure n’est donc toujours pas
venue pour que les descendants des combattants d’il y a 60 ans se souviennent
ensemble des sacrifices passés. Les rares clichés disponibles sur cette
cérémonie, et repris pour certains sur cette page, sont consultables sur les sites Facebook et Twitter de l’ESM. Par-delà les Casoars flottant dans le carré
français de cette Cuvette du bout du monde, l’on ressent une atmosphère de
solitude : pas de levée des Couleurs, aucun officiel du ministère
vietnamien de la défense, une sobriété totale. Une émotion indéniable certes,
mais qui, par le désintérêt dont elle délibérément fait l’objet de la part du
pays hôte, semble hors du temps – vietnamien tout au moins.
Et pourtant, comment ne pas
oublier la
visite officielle à Hanoi du ministre français de la défense, trois
semaines plus tôt, qui a vu M. Le Drian déposer, cette fois devant les
objectifs des photographes locaux, une gerbe devant la porte du mausolée d’Hô
Chi Minh ! – un cérémonial auquel ne sont pas conviées les autorités
américaines,
Realpolitik
oblige ?… Le sourire et les paroles chaleureuses prononcées par le général
d’armée Ngô Xuân Lịch, ex-commissaire politique en chef de l’armée vietnamienne
et désormais ministre de la défense, sur l’excellence des relations bilatérales
(**), sonnent rétrospectivement un peu faux. Surtout, force est de constater
que le fossé de l’Histoire continue d’être patiemment entretenu par les
descendants des vainqueurs de la « mère des batailles » qu’est
toujours Điện Biên Phủ pour tout un peuple – et surtout pour les caciques du
Parti. Alors que des jeunes officiers de l’armée populaire vietnamienne
revêtent depuis plusieurs années le Grand U et le Casoar, côte à côte avec
leurs camarades français, cette ignorance « sur ordre » d’une telle
cérémonie, mais aussi de l’ensemble des activités de cette petite mais ô
combien symbolique délégation, est révélatrice du poids qu’exerce le dogme du Parti
sur les réalités de l’ouverture vers l’international que le ministère
vietnamien de la défense cherche à médiatiser.
Seule lueur dans cette chape de
plomb, et encore, visible par les seuls scrutateurs des tréfonds de l’Internet vietnamien, l’Ecole de
formation des officiers de l’armée de terre n°1, située à Sơn Tây, près de
Hanoi, a publié sur son site un bref article sur la visite dans ses murs de la
délégation de Saint-Cyr, le 21 juin. L’article, très sobre mais illustré d’une
photo – la seule publiée, non par la presse, mais par l’armée populaire et pour un auditorat d’initiés – mentionne l’accueil de la délégation par le général de
brigade Vũ Thành Vinh, directeur adjoint de l’Ecole, des présentations
générales et une rencontre « internationale » de volley. Il se
conclut sobrement sur la satisfaction d’une organisation « conforme au
protocole des relations extérieures et dans d’excellentes conditions de
sécurité »…
|
Intervention du lieutenant-colonel Talon,
attaché de défense à Hanoi |
Des mots qui illustrent
finalement bien l’esprit de la politique de coopération de défense
vietnamienne, officiellement ouverte sur des technologies modernes et
occidentales, mais intrinsèquement bridée par le poids du Parti, de l’Histoire
et privilégiant les solidarités avec des « pays-frères », forgées
durant les années de lutte pour l’indépendance.
(*) Né le 1er octobre 1920,
Saint-Cyrien de la promotion « Croix de Provence », le capitaine
Hervouët commandait depuis le 09 janvier 1954 l’escadron de chars français à
Điện Biên Phủ. Il est décédé le 10 juillet 1954 de ses blessures et des épreuves imposées
par les Vietnamiens aux survivants de la bataille. Cliquer
ici pour accéder à sa biographie, sur le site de la Promotion
Hervouët.
(**) Le général Lịch n’a pas
hésité à affirmer que « le Viêt Nam considère le partenariat stratégique
entre la république française et le Viêt Nam est prêt à être le pont qui
permettra à la France de renforcer sa coopération avec l’ASEAN ».