Le petit coup d’accélérateur de l’actualité vietnamienne de défense noté en mars s’est confirmé en cette fin de printemps. Il est vrai qu’avril et mai, de par leur contexte climatique globalement clément, sont toujours propices aux activités maritimes (escales, déploiements de bâtiments) et bien sûr aux interactions entre hauts dirigeants, le Viêt Nam conservant une capacité d’attraction réelle quoique concurrencée par plusieurs de ses voisins de l’ASEAN et, de manière plus large, de l’Indopacifique.
La couverture de presse de ces événements locaux est en outre toujours l’occasion, pour le lecteur attentif, de découvrir des nominations et des parcours ascensionnels. C’est ainsi que l’on a pu découvrir que le général de brigade Lương Đình Lanh, commandant le 4e Corps d’armée, (Sud) avait quitté ses fonctions fin 2022 pour prendre la direction de l’Ecole des officiers n°2, à Biên Hoà. Son successeur est le colonel supérieur Lê Văn Hướng, qui était jusqu’alors chef de l’état-major de cette grande formation. Une progression logique et discrète, qui n’avait pas été mise en valeur jusqu’à présent de manière forte par les principaux médias vietnamiens.
Aussitôt promu au rang supérieur, cet officier d’artillerie sol-air, déjà membre du Comité central du Parti communiste vietnamien (PCVN), présente un potentiel de progression qui pourrait, à l’horizon 2026 (quatorzième Congrès national du PCVN), lui permettre de succéder au général de corps d’armée Lê Huy Vịnh (lui-même artilleur sol-air et ancien commandement en chef de l’AA/DA) à un poste de vice-ministre de la défense.
Au niveau politico-militaire, alors que les deux Grands de l’Indopacifique (Etats-Unis et Chine) continuent de se jauger jusque sous les marches maritimes des Etats de l’ASEAN, les autorités vietnamiennes restent très à leur avantage dans leurs interactions avec leurs deux « petits » voisins (Laos et Cambodge), souvent gênés aux entournures avec le pesant voisin chinois (escale d’un bâtiment école de la marine populaire chinoise à Đà Nẵng fin mai, avec dans le même temps des condamnations par la porte-parole du gouvernement vietnamien de violations de la ZEE vietnamienne en mer « de l’Est » par des navires de prospection d’hydrocarbures, toujours accompagnés d’un maillage sécuritaire étroit), et très reconnaissants pour le soutien que l’Australie, l’autre grande nation occidentale de l’Indopacifique, apporte aux contingents qui se préparent à être projetés en Afrique (anglophone) sous Béret bleu (tant au Soudan du sud qu’en Abiyé).
Parmi les événements qui auront jalonné la scène diplomatico-militaire de ces deux mois, l’on retiendra donc :
- sur mer :
· Quatre escales dans les ports vietnamiens (voir mes posts précédents): une à Hồ Chí Minh-Ville (première escale d’un bâtiment italien - OPV ITS Francesco Morosini - du 09 au 12 mai) ; deux à Đà Nẵng (destroyers indiens INS Delhi et INS Satpura du 19 au 22/05, puis bâtiment école chinois Qi Jiguang du 23 au 25 mai) ; et une à Hải Phòng (frégate française Prairial du 02 au 06 avril) ;
· Les déploiements, chacun pour près d’un mois :
- de la frégate lance-missiles 015-Trần Hưng Đạo (28 avril au 18 mai) jusqu’à Singapour (participation au salon IMDEX et à un exercice maritime ASEAN-Inde) puis aux Philippines ;
- et d’une corvette de lutte anti-sous-marine (bâtiment 20) en Malaisie (salon Langkawi International Maritime & Aerospace – LIMA) puis jusqu’au sud des Célèbes (Indonésie) afin de prendre part à l’exercice maritime international Komodo.
- au niveau régional :
· les visites au Laos du président Võ Văn Thưởng (10-11 avril) puis du général de corps d’armée Nguyễn Tân Cương, chef de l’état-major général des armées (10-12 mai) ;
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| Entretiens du CEMG avec le président Sisoulith et avec le GAR Chanyalath, ministre de la défense. |
· le sixième dialogue politique de défense Viêt Nam-Cambodge, co-présidé le 19 avril sur le poste frontière de Mộc Bài (province Tây Ninh) par le GCA Hoàng Xuân Chiến (vice-ministre de la défense, chargé des relations internationales) et le général d’armée Neang Phat (secrétaire permanent du ministère cambodgien de la défense).
- au niveau des grands partenariats internationaux :
· le sixième dialogue politique de défense Viêt Nam-Australie, organisé à Hà Nội le 12 mai. L’occasion pour le général Chiến de remercier chaleureusement son vis-à-vis, M. Hugh Jeffey (secrétaire adjoint à la défense) pour l’appui sans faille que Canberra apporte à la préparation des unités vietnamiennes destinées à être projetées en opérations onusiennes de maintien de la paix (cours de langue anglaise, formations spécialisées, appui logistique à la projection de certains contingents) ;
· le troisième dialogue de défense et de sécurité Viêt Nam-Union européenne, le 12 mai en visio-conférence. Le général Chiến a pu se satisfaire de la décision de l’UE de prolonger l’appui qu’elle apporte au Département OMP (DOMP) au travers de l’affectation à Hà Nội d’un officier coopérant (poste honoré, depuis sa création, par la France) qui contribue à la préparation des unités vietnamiennes ayant vocation à être déployées en opérations de maintien de la paix, notamment en zone francophone (cas de l’EU Training Mission en république Centrafricaine, qui accueille depuis fin 2022 deux officiers francophones) ;
· à la croisée de la coopération européenne et de la relation bilatérale, la reconnaissance par le ministère français des armées du parcours exceptionnel que le général de brigade Hoàng Kim Phụng a mené durant près de dix ans à la tête du DOMP, et de sa recherche de synergies avec l’expertise française en matière d’opérations de maintien de la paix. Fait unique dans la relation bilatérale, le général Phụng s’est vu remettre le 15 mai par l’ambassadeur de France la médaille d’or de la défense nationale (*). Il est à ce jour le seul officier vietnamien à avoir été distingué de la sorte ;
· Enfin, alors que les yeux du monde diplomatique restent braqués sur la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, le régime de Hà Nội continue d’afficher sa grande solidarité avec Moscou : réception à Hà Nội du vice-premier ministre Dimitry Chernyshenko (06 avril), déplacement d’une délégation de parlementaires vietnamiens à Saint Pétersbourg (25-26 mai) mais surtout accueil quelques jours plus tôt (21 au 23 mai) à Hà Nội de Dimitry Medvedev, président du parti « Russie Unie ».
Un événement qui a présenté tous les signes d’une visite de chef d’Etat, avec des entretiens avec le secrétaire général du PCVN Nguyễn Phú Trọng, avec le président Võ Văn Thưởng et le premier ministre Phạm Minh Chính, et qui s’est conclu par la diffusion d’une déclaration conjointe qui rappelait notamment : les relations historiques entre Moscou et, la volonté des deux régimes de renforcer leurs liens « pour la paix, la coopération et le développement dans la région et dans le monde ». Certes, l’annulation par Moscou des Army Games 2023 prive Hà Nội d’une opportunité d’accueillir quelques épreuves délocalisées, support d’une grande opération de communication vers l’auditorat vietnamien et la communauté des pays ayant des liens de solidarité avec la Russie. Mais aucun signe apparent n’est visible d’un affadissement de la relation historique entre Hà Nội et Moscou. Les éléments de langage ne varient pas : refus de l’emploi du terme « agression russe contre l’Ukraine », appel au règlement pacifique des différends, mais surtout non-ingérence dans les affaires (intérieures) des Etats. Le jour où le Viêt Nam votera pour une résolution onusienne appelant la Russie à cesser son agression contre l'Ukraine n’est pas d’actualité.
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Cette double page avril – mai tournée, le début de l’été devrait voir les grandes tendances perdurer : (auto)satisfaction de hautes autorités pour leur visibilité plus que pour l’originalité de leurs propos sur la scène internationale (avec en première ligne des relations internationales militaires le général Chiến, représentant cette année le ministre de la défense au Shangri-La Dialogue à Singapour du 02 au 04 juin (**)), possibles nouvelles escales en raison de la présence dans la région de nombreux bâtiments ayant pris part aux événements jalonnant l’actualité aséanienne, fébrilité impuissante face aux empiétements chinois dans la ZEE vietnamienne mais aussi, en toile de fond, poursuite des travaux de poldérisation des îlots vietnamiens en mer « de l’Est» avant que ne survienne la saison des typhons. Un encéphalogramme d’actualité bien connu, jamais à l’abri d’une surprise mais que les dirigeants militaires vietnamiens espèrent détecter au plus tôt pour y parer au plus vite, du mieux possible et sans que le régime de Hà Nội ne soit mis en défaut face à l’opinion publique interne.
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(*) Un autre officier du DOMP, le lieutenant-colonel Nguyễn Quốc Khánh, a reçu la médaille de la défense nationale (échelon bronze). D’autres Vietnamiens, formés dans les écoles d’officiers français – notamment à Saint-Cyr – ont reçu la même décoration au cours de leur cursus en France.
(**) Contrairement à l’édition 2022 (première organisée depuis l’éclatement de la pandémie de Covid-19), le GAR Phan Văn Giang n’a pas jugé bon faire le court voyage vers Singapour, où il aurait rencontré le gotha de l’Indopacifique de la défense, dont le GAR Li Shangfu, nouveau ministre chinois de la défense. Ce refus de saut n’est pas sans rappeler celui de son prédécesseur (GAR Ngô Xuân Lịch), qui n’avait jamais été à l’aise dans l’exercice de la haute diplomatie militaire. Espérons que le général Giang, dont le profil est bien différent, ne regrettera pas de ne pas s’être affiché aux côtés de ses homologues régionaux lors de ce rendez-vous incontournable, qui certes offre la part du lion aux rivaux chinois et américains, mais laisse toute leur place aux tigres de la région, avec leurs particularismes mais aussi leurs points de convergence. Accepter de se faire représenter par un vice-ministre avec pour seule mission d’être sur quelques photos avec des autorités de poids plus lourd est un pari risqué. Avec le compte à rebours vers le prochain Congrès national du PCVN qui s’enclenche (le Parti a dépassé la mi-mandature), gageons que l’effacement du général Giang ne sera pas interprétée trop ostensiblement comme un signe de faiblesse, ce qui placerait son puissant homologue chinois encore plus en position de force dans une relation déjà très déséquiibrée.
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