Les 04 et 05 août 2019, Mme Federica Mogherini, haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a effectué son premier déplacement au Viêt Nam. Arrivant de Bangkok où elle avait participé au sommet ASEAN-UE (01-02 août), elle a entamé son séjour par des rencontres avec la communauté italienne, puis a été reçue le 05 août à Hanoi par les plus hautes autorités vietnamiennes responsables des questions de politique étrangère et de défense : le premier ministre Nguyễn Xuân Phúc, la présidente de l’assemblée nationale Nguyễn Thị Kim Ngân, le vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères Phạm Bình Minh et le ministre de la défense, le général d’armée Ngô Xuân Lịch. Seul absent de taille au sein de cet aréopage, le secrétaire général du Parti communiste vietnamien et chef de l’Etat Nguyễn Phú Trọng. A nouveau, cet effacement du numéro un du Parti et de l’Etat sur la scène internationale continue d’envoyer un signal d’inquiétude quant à son état de santé.
Deux mois après la seconde réception à Bruxelles du général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, vice-ministre de la défense, chargé des relations internationales, par le comité des chefs d’état-major de l’UE, Mme Mogherini a été accueillie par le général Lịch au ministère de la défense. En l’absence du général Vịnh (qui partait pour Manille où il devait participer à la quatrième édition du dialogue politique de défense entre le Viêt Nam et les Philippines), les deux parties ont montré une convergence de vues sur la situation régionale et notamment sur l’impératif de garantir la liberté de circulation en mer de Chine méridionale, la nécessité de régler les différends de manière pacifique en application des textes internationaux et notamment de la convention sur le droit de la mer.
Un mois après le début d’un face à face entre garde-côtes vietnamiens protégeant les sites de prospection et d’exploitation d’hydrocarbures de Vanguard Bank, à l’extrême sud-est de la zone économique exclusive vietnamienne, et une flotte chinoise constituée d’un navire d’exploration géologique et de son imposante escorte de garde-côtes, la position de fermeté européenne a été appréciée par les autorités vietnamiennes. Pour autant, le fossé reste immense entre ces déclarations diplomatiques et l’éloignement de l’Europe de ce terrain de rivalités maritimes. Sans bâtiment militaire croisant régulièrement dans ces eaux contestées - à l’exception d’un ou deux bâtiments français (une escale autorisée par an), voire très exceptionnellement un bâtiment britannique (l’escale du HMS Albion à Hồ Chí Minh-Ville, début septembre 2018, a été la première escale britannique au Viêt Nam du siècle) - la mer de Chine méridionale est vide de toute présence militaire européenne. Inverser la tendance sera un véritable challenge pour les nations maritimes membres de l’UE - qui se garderont certainement de s’afficher comme vecteurs de rayonnement de l’UE pour surtout afficher leur pavillon national, enjeux de coopération bilatérale faisant loi.
Dans un champ d’action plus concret pour les deux parties, un accord a été signé entre la délégation européenne et le ministère vietnamien de la défense dans le domaine des opérations de maintien de la paix (OMP). Le général de brigade Hoàng Kim Phụng (ci-dessous au premier plan à droite), directeur du Département OMP du ministère de la défense, voit ainsi ses efforts d’ouverture du Centre vietnamien de formation aux OMP à l’expertise européenne se concrétiser par l’engagement de l’UE à distiller sur le long terme des formations dans ce centre, où un officier sera très prochainement affecté à temps plein, pour y tenir les fonctions d’expert OMP de l’UE.
Par cette présence permanente, l’UE - et logiquement encore plus la nation d’appartenance de cet officier - pourra prendre le pouls en temps réel de la capacité vietnamienne à s’intégrer dans le tissu des opérations internationales, percevoir les besoins des soldats vietnamiens en cours de formation dans ce centre avant d’être projetés en opération - onusienne, mais pourquoi pas dans le futur dans une UE Training Mission-, combler d’éventuelles lacunes par l’envoi de détachements d’instruction opérationnelle ad hoc, évaluer les progrès des stagiaires, voire faciliter la projection et l’accueil de ces bérets bleus dans les missions internationales - au sein desquelles les soldats européens sont eux aussi engagés. Cerise sur le gâteau, l’engagement de l’UE dans ces actions de formation et de soutien se fera sur fonds européens, et non directement sur les budgets de la défense des Etats-membres. Il restera à l’officier « européen » affecté au DOMP de bien identifier les secteurs dans lesquelles le Viêt Nam a déjà signé des accords de partenariat bilatéraux avec des Etats européens (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni notamment) afin que ce budget OMP de l’UE soit utilisé en bonne synergie avec les efforts déjà consentis par les nations. Le défi est de taille, sur ce « marché des OMP » sur lequel Australiens et Américains sont déjà très présents. A la charnière entre l’UE et cette sphère anglosaxone, l’on notera en outre la position singulière du Royaume-Uni qui, prêt à quitter l’UE pour cause de Brexit, présente tous les atouts pour rejoindre - si ce n’est déjà le cas - le binôme Australie - Etats-Unis (organisation de stages en commun avec des instructeurs de ces deux pays, au sein du DOMP).
Au bilan, moins de deux ans après la visite du général d’armée Mikhail Kostarakos, alors président du Comité militaire de l’UE, à Hanoi (05 décembre 2017), durant laquelle il avait répondu favorablement aux sollicitations du général Vịnh en matière d’échange de délégations, de formations (lutte contre les catastrophes naturelles, secours en mer, OMP, médecine militaire) et s’était montré ouvert à l’instauration d’un mécanisme de dialogue sur la politique de défense entre l’UE et le Viêt Nam, de même qu’à un approfondissement de la coopération en matière de cyber-sécurité et de technologies de l’information, la visite de Mme Mogherini concrétise donc ce rapprochement entre l’UE et le ministère vietnamien de la défense.
Le Viêt Nam devient le premier pays d’Asie du sud-est avec lequel l’UE conclut un accord de partenariat en matière de défense, qui doit permettre aux militaires vietnamiens d’être associés à des missions militaires européennes. Alors que le Viêt Nam va intégrer à nouveau le Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre non-permanent, pour l’exercice 2020-2021, cet accord revêt ainsi un caratère historique. Reste désormais à passer de l’encre qui sèche à la matérialisation de cet accord. Si l’arrivée d’un officier « européen » (mais aussi certainement un pion-clé du maillage de son pays auprès des instances du ministère vietnamien de la défense) n’est plus qu’une question de semaines, le déploiement de militaires vietnamiens dans une opération européenne sera un autre défi.
Déjà engagé dans deux OMP onusiennes (au Soudan du sud et en République Centrafricaine), le ministère vietnamien de la défense devra en effet identifier un petit vivier d’officiers d’état-major capables d’être intégrés dans une EU Training Mission, là aussi en Afrique. Prérequis indispensable : maîtriser la langue française ! Après avoir placé l’accent sur la constitution d’un petit vivier de militaires destinés à servir sous béret bleu en milieu opérationnel anglophone, les militaires vietnamiens se posent à eux-mêmes un challenge de taille : sans renier leur engagement à servir - à la hauteur de leurs modestes moyens - les Nations unies, fournir rapidement à l’UE la preuve de leur volonté de contribuer - à la hauteur de moyens encore plus modestes - à une mission européenne. Tout comme ce fut le cas avec les premiers pas vietnamiens sous béret bleu, il est probable que cette contribution se limite à une poignée d’officiers d’état-major (peut-être pris dans le mince vivier d’officiers ayant servi en République Centrafricaine ?). Gageons que, pour faciliter ce processus, la sagesse européenne résultera en l’envoi au DOMP d’un officier français. Si une telle affectation se concrétisait, l’on assisterait de fait au doublement du nombre d’officiers français servant au Viêt Nam (l’attaché de défense à ce jour étant le seul officier en poste dans ce pays). Pas de quoi passer la démultipliée face au poids anglo-saxon, mais l’essentiel est de prendre pied. Si la mission est bien d’aider les militaires vietnamiens à s’insérer dans une mission européenne, l’on pourrait d’ailleurs se prendre à rêver que ces militaires fédèrent leurs propres ressources en francophones - et elle est de certainement de très bonne qualité, si l’on considère que depuis une quinzaine d’années l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr accueille chaque année un voire deux jeunes officiers vietnamiens aux côtés des élèves français.
Reste que l’on peut s’interroger sur l’intérêt du ministère vietnamien de la défense à signer un tel accord de partenariat. Si l’on comprend l’intérêt du pays, qui se veut un fervent contributeur à la paix mondiale, de s’afficher - même symboliquement - dans des opérations militaires sous lead européen, il sera difficile pour le Viêt Nam d’obtenir en retour un engagement européen autre que symbolique dans le différend qui l’oppose à son puissant (militairement, mais aussi économiquement - y compris dans sa relation avec les nations européennes) voisin chinois.
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