Un
mois après l’interruption subite du séjour au Viêt Nam du général d’armée Fan Changlong, vice-président de la commission militaire centrale du Parti
communiste chinois [1],
à propos de divergences de vues sur les activités d’exploration pétrolière en
mer de Chine méridionale (mer « de l’Est » - Biển Đông - pour Hanoi), les relations entre Hanoi et Pékin connaissent
un discret mais sérieux nouveau pic de tension.
A
nouveau au cœur du différend, une zone de prospection d’hydrocarbures - le
Block 136, situé dans la frange sud-est de la zone économique exclusive
vietnamienne près de Vanguard Bank (Bãi Tư Chính pour le Viêt Nam), une région
traversée par la limite de la « zone en neuf traits » arbitrairement
tracée par Pékin pour matérialiser l’étendue de ses revendications en mer de
Chine méridionale.
En jaune, les zones de prospection dans lesquelles travaille Repsol. |
Alors
que la compagnie Talisman-Viêt Nam [2] y mène depuis
le 21 juin des opérations de prospection - essentiellement gazière - dans le
cadre d’un partenariat avec la compagnie espagnole Repsol, Pékin a accordé des droits de forage dans la même zone (qu’elle
reconnaît sous le nom de Wan-an Bei) à la compagnie Brightoil, enregistrée à Hong-Kong. Cette dernière y a engagé une
plateforme de forage (HYSY-760), qui
opèrerait comme à l’accoutumée dans des eaux disputées sous importante escorte
(une quarantaine de navires, y compris flottille de pêcheurs).
Dans
le prolongement des tensions qui ont émergé mi-juin, et deux ans après la crise
provoquée par l’intrusion d’une plateforme de forage géante chinoise (HD-981) dans la ZEE vietnamienne, au
sud-ouest de l’archipel des Paracel, un scénario similaire se reproduit donc,
avec des enjeux plus importants :
- Zone de frictions à l’extrêmité sud-est de la ZEE vietnamienne, à proximité de l’archipel des Spratley, revendiqué - entre autres - tant par le Viêt Nam que par la Chine ;
- Présence de deux plateformes de forage, opérant l’une pour le compte du Viêt Nam, l’autre pour la Chine ;
- Importants investissements de la compagnie Repsol dans cette prospection (le chiffre de 300 millions de dollars est évoqué) ;
- Souvenir toujours vivace au sein de la population vietnamienne des événements de 2014 ; pour autant, la nouvelle équipe dirigeante du pays, intronisée dans le prolongement des travaux du douzième Congrès national du Parti communiste vietnamien (mi-janvier 2016), est de tendance pro-chinoise (pour mémoire, Nguyễn Phú Trọng a conservé son poste de secrétaire général du Parti après avoir pris le dessus sur son rival, l’ex-premier ministre Nguyễn Tấn Dũng, qui préconisait la fermeté dans les relations avec Pékin).
Dans
ce contexte, Pékin, coutumière des provocations et ne pouvant se résoudre à
perdre la face devant l’ensemble des riverains de la mer de Chine méridionale
et des grandes puissances occidentales qui fréquentent ces eaux, a opté pour
une posture de force et adressé - vraisemblablement le 14 juillet, via l’ambassadeur du Viêt Nam en Chine -
un ultimatum à Hanoi pour qu’elle ordonne la suspension des activités de forage
dans le block 136. Le message aurait été assorti d’une menace d’intervention
militaire contre les possessions vietnamiennes dans les Spratley - sans
précision sur les cibles potentielles et les actions envisagées. Chantage ou
menace militaire réelle, force est de constater que le message a été pris très
au sérieux à Hanoi, qui a rapidement contacté les dirigeants de Repsol. En particulier, deux hommes –
Nguyễn Phú Trọng et le général d’armée Ngô Xuân Lịch, ministre de la défense,
tous deux chefs de file du courant pro-chinois dans la haute direction du Parti
communiste – semblent avoir pesé dans la décision de Hanoi d’obtempérer aux
exigences de Pékin.
Alors
que le 22 juillet une quinzaine de bâtiments de la 3e Région de
police maritime avaient appareillé de Vũng Tàu pour rejoindre le site du
différend, le directeur général de Repsol
a annoncé le 24 juillet l’arrêt « temporaire » des opérations de
forage dans le block 136, prétextant de « mauvaises conditions
météorologiques et notamment la saison des typhons ». Il a laissé entendre
que les forages reprendront « en novembre, voire plus tôt ». Une
façon convenue de céder à la menace, mais qui ne dupera personne.
Alors
qu’aucun haut dirigeant vietnamien ne s’est publiquement exprimé sur cette
crise dans les médias nationaux, la porte-parole du ministère des affaires
étrangères, Mme Lê Thị Thu Hằng, a rompu laconiquement le silence le 28 juillet.
Eludant la situation sur le terrain, elle a sobrement rappelé que les activités
de forage menées par Talisman-Viêt Nam
s’effectuaient en territoire vietnamien, dans le respect de la convention
internationale sur le droit de la mer (1982), et a exigé que toutes les parties
respectent la souveraineté nationale vietnamienne et s’attachent à préserver la
paix régionale.
Alors
que Pékin a accentué depuis janvier 2016 la militarisation de ses principales
emprises en mer de Chine méridionale, dans un effort sans commune mesure avec
celui que Hanoi tente de placer dans la poldérisation de ses propres atolls,
cette nouvelle manifestation du fait accompli laissera sans nul doute des
traces :
- dans une opinion publique vietnamienne découvrant à nouveau que ses dirigeants ne peuvent (voire ne veulent ?), malgré tous les efforts investis dans la modernisation de l’outil de défense, garantir l’intégrité du territoire national - l’un des fondements du nationalisme vietnamien - face aux provocations du grand voisin ;
- dans les hautes sphères dirigeantes du Parti, au sein desquelles la ligne pro-chinoise devra trouver des artifices à défaut de raisons motivées pour justifier auprès des partisans d’une posture plus dure face à Pékin la baisse de la garde face à ce coup de force ;
- dans les relations entre Hanoi et ses partenaires de l’ASEAN, dont le silence gêné n’augure pas de progrès vers l’adoption d’un code de conduite relatif à la posture de l’Association face à la Chine sur la question de la mer de Chine méridionale.
Cette
situation place de facto Hanoi dans
une position de solitude, qui justifierait probablement une reconsidération de
ses relations avec les grandes puissances internationales pour obtenir un
soutien plus fort face à Pékin. Un pas que l’équipe dirigeante n’est pas prêt à
franchir, notamment parce qu’il pourrait remettre en question l’attachement du
régime à une politique de défense encadrée par le principe des « trois
non » (non
à la participation à toute alliance militaire, non à l’implantation de bases
étrangères sur le sol national, non au recours à un pays tiers pour lutter
contre un pays ennemi) [3].
A
défaut de faire entendre raison à leurs homologues chinois, les dirigeants
vietnamiens seront donc contraints de négocier un apaisement de la situation,
afin que le sommet de l’APEC, qui sera hébergé à Đà Nẵng du 05 au 11 novembre
prochains, ne se déroule pas dans une atmosphère étouffante. Comme ce fut le
cas à l’été 2014, les canaux de contact entre partis communistes et hauts
états-majors militaires vont certainement remettre de l’huile dans les rouages
des relations diplomatiques bilatérales. Une situation qui verra Nguyễn Phú Trọng
et le général Lịch agir en première ligne, et par là chercher à renforcer leur autorité plus que leur légitimité à la tête du Parti et de l’armée.
[1] Le 21 juin 2017, le général Fan Changlong a brutalement quitté les travaux de la quatrième rencontre « d’amitié » sino-vietnamienne, qui se tenait du 20 au 22 juin de part et d’autre de la frontière terrestre, dans les provinces vietnamienne de Lai Châu et chinoise du Yunnan.
Une semaine plus tôt (13 juin), il pourrait avoir évoqué, lors d'une rencontre à Madrid avec la ministre espagnole de la défense, Mme Maria Dolores de Cospedal, la question des activités de Repsol dans ces eaux revendiquées par Pékin.
[2]
Initialement possession du
groupe canadien Talisman, cette
compagnie a été rachetée en 2015 par la société espagnole Repsol.
[3] Chính sách « ba không » của quốc phòng Việt Nam : không tham gia các liên minh quân sự, không cho bất cứ nước nào đặt căn cứ quân sự ở Việt Nam và không dựa vào nước này để chống nước kia.
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